Index Next

IMAM AL-HASSAN

et de son Traité de Réconciliation avec Mu'âwiyeh

Abbas AHMAD al-BOSTANI

Avant -Propos

On ne saurait restituer avec exactitude l'histoire complète de l'Appel islamique et de son chemine-ment sans souligner la place importante que l'Imam al-Hassan y a occupée. Cette place tient à la personnalité du petit-fils du Prophète et au rôle prépondérant qu'il a joué dans la sauvegarde de l'intégrité du Message.

Malheureusement, la plupart des livres d'histoire ne reflètent guère cette vérité historique et se montrent doublement injustes envers l'Imam al-Hassan: non seulement ils omettent de lui consacrer la place qu'il mérite et qui correspond vraiment à sa stature et à l'importance de son rôle historique, mais le peu qu'ils disent de lui relève souvent plutôt de la désinformation et de la déformation que de la vérité historique.

En effet, il suffirait d'avoir connaissance de la biographie complète de l'Imam al-Hassan pour se rendre compte que l'image qu'en présentent beaucoup d'historiens est grossièrement déformée et ne correspond point, ni dans les détails ni dans les traits généraux, à celui que les Compagnons considéraient comme le portrait vivant du Messager de Dieu et dont la personnalité constituait une synthèse de celles de ses trois éducateurs: le Prophète, l'Imam 'Alî et Fâtimah al-Zahrâ'.

Si malgré sa grossièreté une telle image a pu survivre longtemps et passer pour une "vérité historique" sans discréditer ses auteurs ni choquer tous les lecteurs, c'est sans doute parce que les historiens qui l'ont présentée ainsi se sont contentés souvent d'aborder quelques fragments isolés du portrait de l'Imam al-Hassan; autrement, la déformation se serait détruite d'elle-même dans une étude biographique complète, car son incohérence avec le reste ou l'ensemble des éléments de sa biographie serait apparue trop évidente.

Bien entendu, d'autres raisons, diverses, que le lecteur verra à travers le présent livre, ont participé à l'altération de l'image de l'Imam al-Hassan dans certains "documents historiques". Il faut retenir notamment le fait que la plupart des récits concernant ce premier petit-fils du Prophète ont été rédigés sous le règne et l'influence des Omayyades, dont la haine pour les Ahl-ul-Bayt n'avait pas de limite.

Désirant pallier les différentes lacunes et anomalies qui ont conduit ou contribué à ternir la splendeur du portrait de l'Imam al-Hassan et de permettre aux lecteurs de se faire une idée globale de l'ensemble de sa biographie (afin qu'ils puissent examiner d'un oeil plus attentif les jugements parfois trop hâtifs et souvent très schématiques émis à son sujet) nous nous sommes efforcés de retracer tout au long de ce livre les grandes lignes de sa vie, depuis sa naissance jusqu'à sa mort par empoisonnement.

Le présent ouvrage ne prétend être ni une étude complète sur l'Imam al-Hassan ni un travail de documentation sur ce sujet. Ainsi, nous n'avons pas hésité à négliger des détails qui pourraient être importants pour l'historien, mais sans grand intérêt pour le lecteur, et nous ne nous sommes pas arrêtés à des controverses mineures sur les différentes versions ou nuances de tel fait ou de tel hadith. Nous ne nous sommes intéressés qu'aux détails susceptibles de restituer le portrait réel de l'Imam al-Hassan.

Un triple souci a guidé notre choix des textes et des faits rapportés dans ce livre:

Permettre au lecteur d'avoir une vue d'ensemble de la vie et de l'action de l'Imam al-Hassan;

Lui indiquer des points de repère à partir desquels il pourrait mener ses propres recherches pour approfondir sa connaissance du sujet général ou des différents thèmes qui y sont traités;

Attirer son attention sur les principaux points que les livres d'histoire traditionnels ont négligés volontairement ou involontairement.

Conscients qu'il est difficile d' apprécier la valeur inestimable du rôle de l'Imam al-Hassan dans la sauvegarde de l'intégrité du Message sans décrire ceux contre lesquels il avait dirigé l'essentiel de son combat, à savoir, les Omayyades, ou plus précisément, les «ex-Tulaqâ'»[1], nous étions amenés à traiter ce sujet dans les différentes parties de notre exposé. Mais pour éviter que notre souci d'informer soit compris ou interprété comme un parti pris, nous nous sommes employés à rapporter tels quels, des textes, des extraits et des témoignages cités par des sources que personne ne pourrait soupçonner de partialité. Il s'agit des témoignages et des commentaires extraits du livre de son Eminence, 'Aboul-A'lâ al-Mawdoudi: "Al-Khilâfah wal-Mulk"[2], et de celui du célèbre écrivain égyptien, 'Abbas Mahmoud al-'Aqqâd: "Al-'Abqariyyât al-Islâmiyyeh".[3]

Nous avons pris soin de mettre en évidence (au milieu de la page et en italique) les textes des deux sources précitées, concernant Mu'âwiyeh et les Omayyades, afin que le lecteur puisse les distinguer facilement de nos commentaires.

Un dernier mot pour conclure cette introduction. En préparant ce livre et en nous efforçant de dire tout ce qui est susceptible de faire mieux connaître l'Imam al-Hassan et ses détracteurs, nous n'avions présent à l'esprit que cet avertissement du Prophète:

«Celui qui aime al-Hassan et al-Hussayn m'aura aimé, et celui qui les déteste m'aura détesté».[4];

Naissance et Famille :le «Fils du Prophète (Ç)[5]

L'Imam Abou Mohammad AL-HASSAN Ibn (fils de) 'Alî Ibn Abî Tâlib est le premier fils de:

- I'Imam 'Alî, cousin du Prophète et son plus fidèle compagnon et soutien,

et

- de Fâtimah al-Zahrâ', la "Meilleure Fille" du Prophète et la "Maîtresse des Femmes des Mondes" selon les propres termes du Messager de Dieu (Ç).

Il est donc le fruit d'un couple béni dont l'union s'est réalisée sur ordre de Dieu et dont les descendants ont reçu par anticipation les bénédictions exceptionnelles du Messager de Dieu (Ç).

En effet, alors que les Compagnons se succédaient chez le Prophète pour lui demander la main de sa fille Fâtimah al-Zahrâ', en raison de la position sublime qu'elle occupait selon le critère du Message, son père récusait systématiquement toute demande en mariage la concernant.

Lorsque l'Imam 'Alî apprit comment le Messager de Dieu opposait son refus à tous les prétendants, il décida de la demander en mariage pour lui-même. Avant d'aller voir le Prophète pour lui faire part de son désir, l'Archange Gabriel l'avait précédé chez ce dernier pour lui annoncer l'ordre de Dieu de marier Fâtimah à 'Alî.

Cet Ordre divin avait été révélé au Prophète selon al-Tabari dans ces termes: «... Ô Muhammad! Dieu, Le Très-Haut, lit sur toi le salut et t'annonce: "J'ai marié ta fille Fâtimah à 'Alî Ibn Abî Tâlib dans le monde sublime, marie-la lui donc sur la terre"».[6]

Quand l'Imam 'Alî frappa à la porte d'Om Salma chez laquelle se trouvait le Prophète, celui-ci lui donna la permission d'entrer et le fit s'asseoir à côté de lui et lui dit:

«Je vois que tu viens pour me demander quelque chose. Dis-moi ton besoin et exprime ce que tu désires. Tout ce que tu me demandes sera exaucé...»

Lorsque le Prophète apprit que 'Alî était venu lui demander la main de sa fille, une expression de joie se dessina sur son visage et il entra chez Fâtimah pour la mettre au courant. C'était là une façon de fixer un usage islamique selon lequel le mariage devrait reposer sur le consentement des deux conjoints pour fonder une famille unie par la cohésion, l'amour et l'entente.

Le Prophète dit à sa fille:

«'Alî Ibn Abî Tâlib est quelqu'un dont tu connais les liens de parenté (avec moi), ses bons antécédents et sa ferveur islamique. Il m'a parlé de toi. Qu'en penses-tu?»

Une expression de timidité s'empara de son visage. Un silence s'installa. Le Prophète (Ç) regardait les traits de son visage et y lut un consentement manifeste. Il sortit de chez elle en répétant du fond du coeur: «Allâhu Akbar... Son silence est le signe de son consentement».

Revenant chez 'Alî, il lui dit: «Possèdes-tu quelque chose pour le mariage?». Là encore, il voulait laisser à la Ummah un jugement jurisprudentiel selon lequel l'homme doit offrir un cadeau de mariage à sa femme. L'Imam 'Alî ne possédait qu'une épée, un chameau et une cuirasse. Il le fit savoir au Prophète, lequel lui dit:

«Quant à ton épée, elle t'est indispensable; par elle tu mènes le Djihâd et tu combats les ennemis de Dieu. Pour ce qui concerne ton chameau, il te sert à apporter l'eau à tes dattiers et à ta famille, et à porter tes bagages pendant tes voyages».

Le Prophète lui interdit donc de se séparer de son épée et de son chameau, lui suggérant de se contenter de revendre sa cuirasse que le Messager lui avait offerte, pour se protéger contre les coups des ennemis.

L'Imam 'Alî offrit au Prophète l'argent qu'il avait pu obtenir de la vente de sa cuirasse pour qu'on achète ce qu'il fallait pour le mariage. Le Prophète répartit la somme entre Bilâl, Salmân et Om Salmâ et les chargea de faire les achats nécessaires.

Le Messager de Dieu désirait faire part aux Musulmans des fiançailles de l'Imam 'Alî et de Fâtimah al-Zahrâ'. Il invita quelques-uns de ses proches à assister aux cérémonies du mariage et il leur fit ce prône:

«Louanges à Dieu, loué pour Son Bienfait, obéi pour Son Pouvoir (...). Dieu m'a ordonné de marier Fâtimah, Fille de Khadijah à 'Alî, Fils d'Abî Tâlib. Témoignez donc que je l'aurai marié contre un cadeau de mariage de 400 atomes (mithqâl) d'argent, s'il y consent».

Puis, il ordonna qu'on apportât un plateau de dattes et invita l'assistance à en manger.

Ce faisant, 'Alî entra chez le Prophète, lequel lui sourit et dit:

«Dieu m'a ordonné de marier Fâtimah à toi contre quatre cents atomes d'argent, si tu y consens».

'Alî répondit: «J'y consens».

Le Prophète dit alors:

«Que Dieu vous unisse, (...) qu'IL vous bénisse et qu'IL vous fasse engendrer une descendance nombreuse et bonne».[7]

Lorsque, un mois plus tard le Prophète apprit que I'Imam 'Alî désirait consommer le mariage et commencer la vie conjugale, il lui demanda d'organiser un festin à l'intention des croyants, festin à la préparation duquel les femmes du Prophète veillèrent elles-mêmes. Puis le Messager de Dieu ordonna à Om Salmâ et aux autres femmes de conduire l'épousée dans un cortège nuptial jusqu'à la maison de l'Imam 'Alî. Une constellation de croyants conduits par le Prophète se forma pour manifester sa joie au cri d' "Allahu Akbar". Les femmes du Prophète chantèrent des hymnes et exultèrent cette occasion.

Après la cérémonie des noces, le Prophète vint auprès de l'Imam 'Alî pour lui adresser ses félicitations:

«Que Dieu te bénisse par la fille du Messager de Dieu».

Puis, il prit un récipient d'eau qu'il bénit de quelques Paroles de Dieu et demanda à 'Alî et à Fâtimah d'en boire. Il arrosa ensuite leur visage et leur tête de quelques gouttes de cette eau, et s'adressant à Dieu, il pria à leur intention:

«Mon Dieu, ce sont les deux êtres que j'aime le plus parmi la création. Bénis donc par moi leur descendance et fais-les escorter par un gardien de Ta part. Je les place ainsi que leur progéniture sous Ta Protection contre Satan le réprouvé».[8]

Ce mariage voulu par Dieu et béni avec tant d'attention et de joie par le Prophète, donnera lieu bientôt à une première naissance à laquelle le Messager de Dieu ne manqua pas de jubiler.

En effet, le premier descendant de la Maison du Prophète naquit au milieu du mois béni de Ramadân en l'an 3 de l'Hégire à Médine.

Lorsque Fâtimah al-Zahrâ' proposa à l'Imam 'Alî de donner un nom au nouveau-né, il lui dit qu'il ne pouvait pas se permettre de devancer le Messager de Dieu dans cette tâche.[9]

C'est que l'Imam 'Alî savait d'ores et déjà que le Prophète considérait ce premier enfant de sa fille comme son propre fils et combien cette naissance lui tenait à coeur.

La bonne nouvelle parvint au Prophète. Exultant de joie, il se rendit chez sa fille pour exprimer sa réjouissance et féliciter le couple bienheureux. Om Salmâ - ou Asmâ' Bint 'Umays selon certaines sources - apporta l'enfant et le présenta au Prophète, lequel le prit dans ses mains, l'embrassa et l'étreignit. Puis il récita l'azan[10] dans son oreille droite, l'iqâmah[11] dans son oreille gauche, afin que la voix du Vrai soit la première chose qui parvienne à son ouïe.

Puis, s'adressant à l'Imam 'Alî, il lui demanda:

- Quel prénom as-tu donné à "mon" fils?

- Je n'aurais pas osé t'y précéder, répondit l'Imam 'Alî.

- Pas plus que moi-même je n'oserais y précéder mon Seigneur![12]

Ce dialogue entre le Prophète et son héritier présomptif n'était pas encore tout à fait terminé que la révélation divine parvint au Messager de Dieu l'informant que le Créateur avait nommé le nouveau-né "Hassan"[13]. Il est à noter que le nom "al-Hassan" était inconnu dans la jahiliyyeh (le pré-islam) et signifie le "Bienveillant" (voir Fadhlullâh, op. cit.. 14, citant "Asad al-Ghâbah").

Le septième jour de la naissance d'al-Hassan le Prophète revint chez Fâtimah al-Zahrâ' pour parachever les rites. Il égorgea un mouton dont il donna un quartier à la sage femme - en plus d'un dîner - en témoignage d'estime pour ses efforts. Ensuite il rasa la tête du nouveau-né et offrit en aumône une quantité d'argent équivalent au poids des cheveux coupés. Puis, il enduisit la tête de l'enfant d'un parfum (Khalouq) à dominante de safran (annonçant à cette occasion l'interdiction de la coutume jahilite consistant à enduire la tête de l'enfant de sang). II ordonna enfin, que l'on procède à la circoncision du nouveau-né.

L'ensemble des rites que le Messager pratiqua à l'occasion de la naissance de son petit-fils seront désormais des Traditions que les Musulmans suivront.

L'Amour du Prophète pour al-Hassan

Si la naissance d'al-Hassan et avant elle le mariage de ses parents étaient deux occasions pour le Prophète de fixer à travers les êtres les plus aimés de son coeur, des Traditions à la Ummah, l'amour qu'il continuera d'exprimer à l'égard de son petit-fils pendant les quelques années qu'il lui restait à vivre, lui permettra de tracer aux Musulmans beaucoup d'autres lignes de conduite et d'apporter à ce dernier (al-Hassan) les premiers éléments indispensables à l'équilibre de la personnalité.

En effet, le tendre baiser et la douce étreinte dont le grand-père a couvé le nouveau-né le jour de sa naissance inaugura une période de plus de sept ans au cours de laquelle le Prophète ne manquera aucune occasion d'entourer al-Hassan de son amour, de ses bons soins, de sa tendresse, de ses caresses et de toutes sortes de marques d'affection.

Cet amour et cette affection du Messager pour le premier descendant de la "Maison du Message" étaient devenus d'autant plus de notoriété publique qu'ils contrastaient avec l'attitude généralement assez distante d'un père envers son enfant dans les milieux bédouins de l'époque.

Ainsi, un jour, un bédouin voyant le Prophète embrasser, étreindre et renifler[14] le petit al-Hassan, dit à son adresse: «Moi aussi j'ai un fils! Mais je ne l'ai jamais embrassé». Le Messager, indigné de cette réflexion, répondit: «Ce n'est pas ma faute si Dieu a ôté la miséricorde de ton coeur».[15]

On dirait que chaque fois que le Prophète laissait déborder ses sentiments d'affection envers son petit-fils devant les visiteurs ou les Compagnons, il tenait à faire passer un message ou un enseignement aux Musulmans. Les exemples suivants confirment l'exemple précédent à cet égard:

Selon Abou Hurayrah cité par l'imam Ahmad:

Un jour le Prophète (Ç) est venu nous accueillir en portant al-Hassan et al-Hussayn chacun sur une épaule, et en les embrassant alternativement. Lorsqu'il arriva à notre niveau, un homme lui dit: «Par Dieu, tu les aimes vraiment, Ô Messager de Dieu!» Le Prophète répondit: «Celui qui les aime m'aura aimé et celui qui les déteste m'aura détesté».[16]

Selon al-Barâ' (cité par al-Bukhâri et Muslim):

«J'ai vu le Messager de Dieu porter al-Hassan sur son épaule en disant: "Ô mon Dieu! Je l'aime, aime-le donc"».[17]

Toujours selon al-Barâ' (cité par al-Termithi):

«Un jour voyant al-Hassan et al-Hussayn, le Messager de Dieu (Ç) dit: "Ô mon Dieu! Je les aime, aime-les donc"».[18]

Selon 'Aïchah:

«Le Prophète prenait al-Hassan et l'étreignait en disant: "Mon Dieu c'est mon fils, je l'aime et j'aime celui qui l'aime"».[19]

Selon Osâmah Ibn Zayd, cité par al-Tarmathi:

«J'ai vu le Messager de Dieu porter al-Hassan et al-Hussayn sur ses hanches en disant: "Ce sont mes deux fils et les deux fils de ma fille je les aime! Aime-les donc et aime ceux qui les aiment!"».[20]

Comme on le voit à travers ces témoignages et les témoignages qui suivent, le Prophète aimait tellement al-Hassan qu'il ne pouvait pas résister à l'envie de se prêter à des jeux d'enfant avec lui ou à le faire jouer même en présence de personnes étrangères au cercle familial. Pour attirer et amuser le petit al-Hassan, il tirait sa langue dont la rougeur le faisait rire et se précipiter joyeusement et coquettement vers son grand-père, lequel, ravi, l'étreignait en psalmodiant:

«Je le protège par les mots divins parfaits contre tout Satan, tout oiseau de malheur et tout mauvais oeil».[21]

Ya'lâ Ibn Marrah témoigne à cet égard:

«Un jour nous sommes sortis avec le Prophète pour nous rendre à une invitation. Chemin faisant, le Prophète (Ç) apercevant al-Hassan en train de jouer, accourut vers lui devant tout le monde, ouvrit ses bras, laissant l'enfant passer tantôt par ci tantôt par là, s'amusant avec lui et le faisant rire. Il finit par l'attraper, posant l'une de ses mains sur son cou l'autre sur sa tête. Puis l'étreignant et l'embrassant, il dit:

"Hassan est de moi et je suis de lui. Dieu aimera celui qui aura aimé al-Hassan"».[22]

Même lorsque le Prophète se trouvait en plein devoir religieux ou en pleine réunion publique, il évitait de contrarier son petit-fils et de le priver de son affection, comme s'il voulait signifier à la Ummah que cette affection n'était pas seulement une affaire personnelle. Ainsi, un jour, pendant que le Messager de Dieu faisait une prédication du haut de sa chaire et qu'il vit al-Hassan et son petit-frère al-Hussayn se diriger vers lui en se faufilant entre l'assistance et en trébuchant dans leurs longues chemises qui entravaient leurs pas, il interrompit son prône et descendit de la chaire pour les porter sur ses genoux et s'adressant à l'auditoire, il dit comme pour s'excuser: «Certes, Dieu et Son Messager ont dit la vérité: "Vos biens et vos enfants constituent une tentation pour vous..."»[23] et d'ajouter, comme pour se justifier: «Mais voyant ces deux enfants trébucher en marchant, je n'ai pu m'empêcher d'interrompre ma parole pour les porter».[24]

L'enfant al-Hassan, se sentant très dorloté et choyé par son grand-père, ne se privait guère du plaisir de venir jouer avec lui même aux moments les plus délicats de recueillement et de culte. Il montait par exemple sur le dos du prophète lors d'une prosternation (sujûd), le Messager le laissait faire jusqu'à ce qu'il descende de lui-même. Bien plus, pendant une génuflexion (rukû')[25], remarquant que l'enfant essayait de passer entre ses jambes, il les écartait pour lui faire un passage. Parfois, dès qu'il pliait les genoux pour se prosterner, al-Hassan se jetait sur son épaule. Si on essayait de l'en écarter, le Prophète faisait signe de le laisser faire.[26]

Les Compagnons s'étonnaient souvent de ce traitement hors du commun que le Prophète réservait à son petit-fils et de l'attachement exceptionnel qu'il éprouvait pour lui, et ils ne manquaient pas de le lui faire remarquer. Le Messager de Dieu saisissait chaque fois l'occasion pour souligner à leur attention la place toute particulière qu'al-Hassan occupait dans son coeur et la nécessité pour les Musulmans d'en tenir compte.

Selon Abou Bakr, cité par al-Hâfidh Abi Na'îm:

«Un jour pendant que le Prophète (Ç) conduisait notre prière, al-Hassan, petit enfant à l'époque, est venu monter tantôt sur son dos tantôt sur son cou le Prophète (Ç) l'enlevait alors très doucement. Lorsqu'il finit sa prière, les fidèles lui dirent: "Ô Messager de Dieu! Ce que tu fais pour cet enfant tu ne le fais pour personne d'autre!". Le Prophète (Ç) répondit:

"Celui-ci (al-Hassan) est mon bouquet de fleurs"».[27]

Si l'amour inégalé du Prophète (Ç) pour son petit-fils s'exprimait tantôt par des baisers, des caresses et par toutes sortes de dorlotement, tantôt par une nourriture spirituelle consistent, comme nous l'avons vu à plusieurs reprises, en des supplications[28] qu'il adressait à Dieu en sa faveur, ou en des formules sacrées qu'il lui inculquait en les soufflant dans ses oreilles[29], cet amour, le Messager de Dieu (Ç) l'exprimait parfois par des gestes paternels encore plus pathétiques; par exemple, en trempant de sa salive les lèvres d'al-Hassan pour étancher ou tromper sa soif. C'est ce qui se produisit un jour de l'an de la soif où Fâtimah al-Zahrâ' angoissée par la souffrance de ses deux enfants haletants de déshydratation, les apporta à leur grand-père, lequel faute de mieux, leur offrit sa langue pour qu'ils la sucent et se soulagent.

Ce geste montre d'ailleurs une autre facette de la grande affection du Prophète pour al-Hassan. En effet si une immense joie emplissait le coeur du Prophète chaque fois qu'il voyait son petit-fils jubilant, une immense tristesse lui fendait le coeur chaque fois qu'il le sentait souffrant. C'est pourquoi dès qu'il entendait al-Hassan ou son frère pleurer, il appelait Fâtimah al-Zahrâ', en lui disant: «Pourquoi cet enfant pleure-t-il? Ne sais-tu pas qu'il m'est pénible de le voir pleurer».[30]

D'autre part le Prophète (Ç) se sentait si attaché à son petit-fils qu'il supportait difficilement de s'en séparer lorsque les circonstances de l'appel exigeaient qu'il s'absentât. Aussi tenait-il à amener avec lui al-Hassan et son frère au moins pendant ses courts déplacements, les mettant sur sa monture, l'un devant lui, l'autre derrière, évitant ainsi qu'ils ne lui manquent et qu'il ne leur manque durant son absence.

Les cajoleries auxquelles al-Hassan a eu droit de la part de son grand-père étaient si fréquentes qu'elles restèrent gravées dans la mémoire de tous ceux qui avaient eu le privilège de fréquenter le Prophète. Ainsi Abou Hurayrah rencontrant un jour al-Hassan, bien après la disparition de son grand-père, le saisit et dit: «Laisse-moi t'embrasser là où j'ai vu le Messager de Dieu (Ç) t'embrasser», et l'embrassant sur le nombril, il témoigne: «J'ai vu de mes propres yeux al-Hassan tenir de toutes ses mains celles du Prophète (Ç) et poser ses pieds sur les siens; et j'ai entendu alors de mes propres oreilles le Prophète lui réciter cette berceuse: "Petit nain, petit nain..."; après quoi al-Hassan escaladait (le corps du Prophète) jusqu'à ce qu'il posât ses pieds sur la poitrine de son grand-père, lequel l'embrassait sur sa bouche».

L'IMAM AL-HASSAN DANS LA SUNNAH ET SA PLACE
(celle d'Ahl-ul-Beyt) DANS LE CORAN

A) La présence du Prophète (Ç) dans la personne et la personnalité d'al-Hassan

«Le Messager de Dieu a veillé sur al-Hassan avec ses yeux et son coeur, car il était un morceau de son existence, une brillance de son âme et un portrait qui le décrivait et l'exprimait. Il l'a entouré d'un tel amour et d'une telle tendresse qu'il fut la pureté même, qu'il se dépouilla de toute tendance à la brutalité, que la clémence devint la plus saillante de ses qualités, et la philanthropie le plus sublime de ses sentiments».

M. J. Fadhlallah[31]

Al-Hassan perdit son grand-père à l'âge de 8 ans. Le Prophète (Ç) n'aura donc veillé sur son petit-fils que pendant la phase de sa première enfance. Mais la présence active du Messager tout au long de cette phase importante de son éducation joua un rôle primordial dans la formation de sa forte personnalité, dans la noblesse de son caractère, dans la perfection de sa conduite islamique. En effet, la passion, l'affection et la tendresse presque anachroniques - à l'époque - que le Prophète manifesta envers al-Hassan s'avérèrent être non seulement la simple expression de l'amour naturel d'un grand-père envers son premier "fils" ou descendant, mais elles traduisirent surtout la volonté du Messager d'assurer à ce dernier une éducation exemplaire.

On peut dire à cet égard que bien avant les psychologues et les éducateurs modernes, l'Islam avait attiré l'attention sur l'importance de la phase de la première enfance dans la formation et l'équilibre de la personnalité de l'individu d'une part, sur les besoins affectifs de l'enfant dans cette phase d'autre part. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur les hadith du Prophète - et de ses successeurs, les Imams d'Ahl-ul-Bayt - concernant ce sujet, pour s'en convaincre. Mais ce qui nous importe ici, c'est de noter qu'al-Hassan fut le premier enfant à recevoir une éducation islamique parfaite pendant cette phase, puisque c'est le Prophète de l'Islam, lui-même, qui en fixa, orienta et dirigea les grandes lignes.

En effet, lorsqu'on passe en revue les préceptes de l'Islam, relatifs à cette phase de l'éducation de l'enfant, on peut remarquer que trois grandes lignes s'en détachent et que l'application de celles-ci apparaît d'une façon évidente dans le comportement du Prophète (Ç) vis-à-vis de son petit-fils:

1- C'est une phase pendant laquelle l'enfant doit être entouré de tendresse, d'amour, de caresses. En témoigne, entre bien d'autres, cette remarque que le Prophète avait faite à propos d'un bédouin qui se vantait de n'avoir jamais embrassé ses enfants: «Pour moi, dit le Messager, cet homme est au nombre des habitants de l'Enfer»[32] et pour traduire sa parole en acte, on a vu combien le Prophète s'attachait à caresser et à embrasser al-Hassan chaque fois qu'il se trouvait en sa présence.

2- C'est une phase de jeu pendant laquelle l'enfant doit être encouragé dans son désir naturel de jouer. Le Prophète dit à ce propos: «Celui qui a un enfant doit rajeunir pour lui».[33] Et passant de la parole à l'acte, le Prophète, comme nous l'avons vu, n'hésitait pas à tirer la langue ou jouer au chameau pour amuser al-Hassan.

3- C'est une phase pendant laquelle il convient d'éviter autant que possible de contrarier l'enfant dans ses désirs innocents par souci de lui apprendre la bienséance. En effet le Prophète dit à cet égard: «L'enfant est maître[34] pendant les sept premières années (de sa vie) et esclave[35] pendant les sept années suivantes».[36]

Là encore nous retrouvons l'application parfaite du premier terme de ce principe dans la conduite du Prophète lui-même vis-à-vis de son petit-fils, puisqu'il refusait qu'on empêche ce dernier de monter sur son dos pendant qu'il priait, ou de venir s'asseoir sur ses genoux pendant qu'il prêchait en séance publique.

Mais si l'enfant n'est pas particulièrement disposé à recevoir des instructions pendant cette phase, il est en revanche très réceptif aux gestes, aux paroles et à la conduite de ceux qui savent le couver de leur amour et de leur tendresse. Rien de plus normal dès lors de remarquer combien (la conduite d'al-Hassan) et ses traits de caractère étaient imprégnés des traces de son grand-père et combien il se montrera attaché aux souvenirs du Prophète, gravés dans sa mémoire, tout au long de sa vie.

Les références fréquentes au Prophète («mon grand-père, le Messager de Dieu a dit ceci..., mon grand-père le Messager de Dieu a dit cela...») dont il ponctuait toujours ses paroles et ses actes sont à cet égard très significatives.

  Index Next