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je fus engagé à ses idées, comme beaucoup de jeunes musulmans et arabes. et par la suite, nous avons organisé une visite éducative en libye. c'était un groupe de quarante enseignants, nous visitions le pays du début de la révolution, et quand nous sommes revenus chez nous, nous étions très optimiste. nous espérions un futur meilleur pour les musulmans dans le monde.

pendant les années précédentes j'avais correspondu avec quelques amis, mon amitié se renforça avec quelques uns parmi eux, ils m'avaient demandé de leur rendre visite, ainsi je préparais un voyage pour les vacances d'été qui durera trois mois.

j'avais l'intention aller en libye et en egypte par voie terrestre, et de là, je voulais me rendre au liban, par voie maritime, puis en syrie, en jordanie et en arabie saoudite pour y accomplir la "omra" (petit pèlerinage), et aussi pour renouveler mon allégeance à la secte des wahhabites, car j'en faisais la propagande parmi mes étudiants et dans les mosquées fréquentées par les frères musulmans.

ma réputation se répandit de ma ville natale aux autres villes environnantes, car quelques visiteurs qui assistaient aux prières du vendredi, en entendant mes leçons ils firent ma réputation, qui atteignit "ismaîl el-hadifi", leader de l'ordre soufi très connu à tozeur, capitale du djerid et lieu de naissance du fameux poète tunisien "aboul kacem-chabbi".

le cheikh ismaîl influençait de nombreux disciples en tunisie et à l'étranger particulièrement parmi les émigrés tunisiens de france et d'allemagne.

j'ai reçu une invitation de sa part par l'intermédiaire de ses agents à gafsa, qui m'avaient écrit une longue lettre, me remerciant pour les services que je rendais à l'islam et aux musulmans.

dans cette lettre, ils ont prétendu que les services que je rendais ne me rapprochaient pas d'allah, car je n'avais pas de "cheikh" (un maître qui me guide) et ils disaient: "celui qui n'a pas de "cheikh" a le diable pour maître. tu dois avoir un cheikh pour qu'il te montre la voie, autrement la moitié de ta connaissance est vaine".

ils m'ont informé que cheikh ismaîl lui-même, m'avait choisi parmi tous les autres affiliés pour être l'un de ses adeptes les plus proches. je fus absolument enchanté en apprenant ces nouvelles.

je pleurais pour cette grâce divine qui m'a élevé jusqu'aux cimes et aux meilleurs lieux, tout simplement parce que j'étais sur la voie de "sidi hadi al-hafine" qui était aussi un cheikh soufi connu pour ses miracles. et je devins l'un de ses partisans les plus proches, et comme j'étais l'ami de "sidi salah essayaah" et "sidi jilani" et d'autres leaders soufis, ainsi j'ai attendu impatiemment cette rencontre.

lorsque j'entrais dans la maison de "cheikh ismaîl" je regardais curieusement les visages, le lieu était envahi de ses adeptes et fidèles disciples, parmi lesquels se trouvaient les vieillards portant des habits blancs immaculés. après la cérémonie de salutation, le cheikh ismaîl apparut et chacun se leva et lui embrassa les mains avec grand respect, son député me fit signe: "c'est lui le cheikh!". mais je ne montrais pas mon enthousiasme, car je m'attendais à quelque chose de totalement différent de ce que je voyais. en face de moi avançait un homme sans prestance ni charisme particulier et l'obséquiosité qui l'entourait me semblait sans commune mesure avec l'allure de sa personne. cependant, il m'accueillit à son tour chaleureusement et me fit asseoir à sa droite, et m'offrit de la nourriture.

après le dîner de la cérémonie rituelle, commença le colloque, son délégué à gafsa m'a présenté à lui de nouveau. il m'a demandé de faire acte d'allégeance au cheikh et chacun des présents se réjouissait d'avance de cet honneur qui m'était attribué.

plus tard j'ai réalisé ce poids qui me donnait ma relative célébrité, ce qui m'encouragea à questionner librement le cheikh; je ne ressentais aucune gêne à intervenir et parfois à m'opposer aux réponses que je trouvais peu convaincantes. certains n'appréciaient pas mon comportement révérencieux à l'égard du cheikh.

le cheikh a senti l'atmosphère tendue, il a essayé de calmer la situation en utilisant son esprit, il dit: "celui qui commence par une rencontre brûlante, finira par une vie brillante". le public considéra comme une grâce de la part du cheikh.

le cheikh était intelligent et très expérimenté, il ne m'a pas laissé continuer mon intervention souvent provocatrice, il a raconté le conte suivant:

"un jour, un homme savant assiste à une conférence donné par le sage pieux, l'homme pieux demanda au savant d'aller se laver; le savant est allé se laver, après quoi il revint à la classe, l'homme pieux répéta sa demande "va et lave-toi", le savant partit se laver pour la deuxième fois, pensant qu'il ne s'était pas lavé correctement, quand il revint en classe, l'homme pieux lui demanda de se laver de nouveau, l'homme savant se mit à pleurer, et dit: "maître, je me suis lavé de tout mon savoir et de tous mes actes, et il ne me reste que ce qu'allah va m'octroyer par tes mains". a ce moment- là, l'homme pieux dit: "maintenant tu peux t'asseoir"."

je me rendais compte alors que j'étais visé par le cheikh et chacun des présents le comprenait également. ils m'ont demandés de garder le silence, et de montrer plus de respect en présence du cheikh, afin de ne pas échouer dans ma vie. ils basaient leurs arguments sur le verset coranique suivant:

"o vous qui avez cru! n'élevez pas la voix au-dessus de celle du prophète, et ne lui parlez pas sur le ton que vous employez entre vous-même de peur de voir vos œuvres annihilées sans que vous sous en rendiez compte." al-houjourat, verset 2.

alors j'ai reconnu mes limites, j'ai obéi à leur ordre et le cheikh m'a gardé auprès de lui, durant trois jours, pendant lesquels je lui posais beaucoup de questions, dont quelques unes pour tester ses connaissances.

le cheikh savait cela, et il me répondait qu'il y avait deux interprétations, et deux significations du coran. l'une révélée apparente, et l'autre caché à un septième degré. il a ouvert son coffre personnel, qui contenait la chaîne traditionnelle des pieux et des savants sages qui le reliait avec l'imam ali ibn abi-taleb, et à travers beaucoup de saints tel que "abdoulhassen-chadhili".

il faut remarquer ici que ces réunions faites par le cheikh étaient des réunions spirituelles, et elles commençaient par quelques poèmes suivis par des chants et des récitations sur l'ascétisme, la piété et le renoncement à la vie d'ici-bas et l'avidité de chercher l'au-delà.

tous les disciples contribuaient, chacun à leur tour en commençant par la droite du cheikh, en récitant tout au moins un verset coranique. peu à peu la confrérie se penchait à droite et à gauche, effectuant un balancement sur le rythme des chants. le cheikh se leva, et les disciples se levèrent à leur tour pour former un grand cercle autour de lui et ils commencèrent à dire: "ahh-ahh-ahh-ahh!", ce qu'ils appellent l'invocation de la poitrine. le cheikh se tournait à chaque fois vers un disciple, l'atmosphère se modifiait, les danseurs commençaient à sursauter en criant dans un rythme organisé mais irritant.

après cette activité éprouvante, le calme revint peu à peu. le cheikh récite son dernier poème, alors que les disciples lui embrassent la tête et les épaules avant de s'asseoir.

j'ai participé à leur rituel mais sans conviction, car cela contredisait mes croyances qui m'interdisent d'attribuer des associés à allah et tout intermédiaire entre l'homme et son créateur.

je m'effondrais en pleurant, mon cœur et mon esprit étaient déchirés entre deux tendances contradictoires.

la première était l'idéologie soufie d'après laquelle l'homme traverse une expérience spirituelle, basée sur le sentiment de la crainte, sur l'ascétisme et sur l'effort pour se rapprocher de dieu par l'intermédiaire de ses saints serviteurs, ses savants et sages.

la deuxième était l'idéologie des wahabites qui m'ont enseignés que tout cela n'était que polythéisme qui ne sera jamais pardonné par dieu.

si le messager d'allah, mohammed lui-même, ne peut pas aider ou intercéder en faveur des gens, alors comment pourraient-ils le faire eux les saints et les pieux qui sont venus après lui?!.

malgré la position qui me fût conféré par le cheikh, car il me désigna comme son délégué à gafsa. je n'étais pas convaincu. bien que je sympathisais parfois avec l'ordre soufi que je respectais pour l'amour d'allah et de ses saints. j'avais en mémoire le verset:

"n'invoques avec dieu aucun autre dieu. il n'y a de dieu que lui." al kassas, verset 88.

parallèlement au verset:

"o croyants! craignez dieu et cherchez un moyen intermédiaire." al maaida, verset 35.

les oulémas saoudiens m'ont enseignés: "le moyen et l'intermédiaire n'est que la bonne action."

mon esprit était troublé, mais les disciples du cheikh venaient chez moi de temps à autre pour célébrer les rituelles nocturnes et "l'invocation de la poitrine" telles que je les ai décrite.

mes voisins étaient gênés par les brouhahas de nos voix: "ahh-ahh-ahh!." ils se plaignaient auprès de ma femme par l'intermédiaire de leurs épouses, quand je l'ai su, je demandais aux disciples de célébrer leur récital ailleurs, et je me suis excusé auprès d'eux en les informant que je partais en voyage pour une durée de trois mois, ainsi j'ai dit adieu à ma famille, à mes amis, et j'ai imploré la protection d'allah.

 

 


le voyage en egypte

je suis resté à tripoli, la capitale libyenne, afin d'obtenir le visa pour l'egypte grâce à quelques amis que dieu les récompense pour leurs efforts.

la route pour le caire était longue, trois jours et trois nuits durant lesquelles je partageais une "voiture de louage" avec quatre égyptiens qui travaillaient en libye et qui rentraient chez eux, pendant le voyage je bavardais avec eux, et je leur récitait le coran. ils m'ont appréciés et m'ont invités à descendre chez eux en egypte. j'ai choisi parmi eux ahmad qui n'était pas loin de mes idées et qui était pieux, il m'offrit une très grande hospitalité, que dieu le récompense.

je suis resté au caire vingt jours durant lesquels j'ai rencontré le célèbre chanteur farid el-atrache dans son immeuble sur le nil. je l'admirais pour sa modestie, son humilité et sa générosité, j'ai réussis à le voir pendant vingt minutes seulement car il allait prendre l'avion pour le liban.

puis j'ai visité le fameux psalmodieur du coran le sheikh abdulbass et mohamed abdoussamad dont j'aimais beaucoup la voix, je suis resté chez lui trois jours durant lesquels j'ai discuté avec ses proches et ses amis, ils m'appréciait pour mon enthousiasme, ma franchise et mes connaissances, s'ils parlaient de l'art je chantais, s'ils parlaient de soufisme et de l'ascétisme je m'identifiais de l'ordre de "tijanyya" et "madanyya", s'ils évoquaient l'occident je parlais de mes visites à paris, londres, belgique, hollande, italie et espagne pendant les vacances d'été. et s'ils parlaient de pèlerinage, je les surprenaient en parlant de la mecque, je leur parlais des endroits que j'avais visités, encore inconnus de bien des pèlerins, tels que la grotte de hira, la grotte thaor, la place du sacrifice d'ismaïl etc. s'ils parlaient de sciences et technologie, je trouvais toujours le vocabulaire adapté et enfin en politique, je leur exprimais mes points de vue en disant: " que dieu bénissent l'âme de naceur salaheddine ayoubi, qui s'est privé de sourire, et lorsque l'un de ses proches l'a critiqué en lui disant que le saint prophète souriait souvent, il répondit: "comment voulez vous que je souris pendant que la mosquée de jérusalem est occupé par les ennemis d'allah. non par dieu, je ne sourirais jamais avant sa libération."

quelques savants d'al-azhar qui assistaient à ces discussions ont beaucoup appréciés et aimés ce que je récitais du coran et de la sounna du prophète, ils étaient impressionnés par mes arguments solides et m'ont demandés, de quelle université je venais, je répondait fièrement: l'université ezzeitouna qui était fondé avant al-azhar du caire, j'ajoutais que les fatimides qui ont construits al-azhar venaient de mahdia de tunisie. aussi à l'université d'al-azhar j'ai rencontré plusieurs savants et accepté beaucoup de livres qui m'étaient offerts.

un jour pendant que j'étais dans le bureau d'un responsable officiel des affaires d'al-azhar, un membre du conseil du commandement de la révolution égyptienne vint pour l'inviter à une réunion de masse qui regroupe les musulmans et les coptes dans l’une des plus grande compagnie de chemin de fer du caire.

le responsable m'a invité chaleureusement à venir avec lui, ma place était à la tribune d'honneur entre le savant "azhri" et le père de "chenouda".

on me demanda de faire un discours dans cette réunion, ce que je fis comme j'en avais l'habitude dans les mosquées, et les comités culturels de mon pays.

je commençais à me sentir important et j'avais une grande confiance en moi, je pensais que j'étais vraiment un homme savant. comment ne pas ressentir ce sentiment, quand un grand nombre d'oulémas m'incitaient à le croire et me proposaient d'enseigner à al-azhar.

on m'a permis de voir quelques reliques du saint prophète, un officier de la mosquée de l'imam houssein (as) au caire m'a emmené dans une pièce privée, il a ouvert une cassette, et en sortit la chemise du saint prophète me l'a présenté et m'a permit de l'embrasser, puis il m'a montré d'autres reliques appartenant au prophète.

en sortant de cette chambre je pleurais et j'étais touché par ce geste rare, car l'officier m'a laissé entendre que le prophète lui-même m'avait autorisé de voir ses reliques. je l'ai cru d'autant plus qu'il a refusé de prendre de l'argent, enfin et après mon insistance il en prit une petite somme, et m'a félicité d'être l'un de ceux que la grâce du saint prophète a honoré.

sans doute cette visite a laissé une trace profonde sur moi, je pensais pendant quelques nuits à ce que disaient les wahàbites saoudiens à savoir que le prophète comme toute autre personne et que son influence est vaine, et son rôle est terminé, je n'aimais pas cette idée et j'étais convaincu qu'elle était erronée. surtout si, le prouve le coran, le martyr qui meurt en guerre sainte, n'est pas réellement mort:

"ne prend surtout pas ceux qui ont été tués sur le chemin de dieu pour des morts mais plutôt des vivants recevant des leur subsistance auprès de leur seigneur." (alé imràne: verset 169)

alors que dire de notre prophète mohammad qui est la miséricorde de tout ce monde et le parfait exemple à suivre.

je devenait de plus en plus clairvoyant en comparant les doctrines wahàbites et soufis, je m'interrogeais sur ces confréries qui confiaient toute leur réflexion au bon vouloir d'un sheikh, qui dirigeait entièrement la vie des ses adeptes.

mais ne m'avait-on pas appris un hadith koudoussi:

" mon servant, obéis tu seras comme moi - tu diras à la chose soit et elle deviendra réelle. "

la lutte intérieure commençait à me miner, mais à ce moment là mon voyage en egypte touchait à sa fin, j'ai visité pendant les derniers jours un grand nombre de mosquées de l'imam malek et celle de l'imam abou hanifa, de l'imam ahmad ibn hanbal et de l'imam chafey, ainsi que la mosquée de saida zainab et de l'imam houssein, j'ai prié dans toutes les mosquées, j'ai aussi visité le "zaouya" de l'ordre soufi "tijanyya". j'aurais d'histoires à raconter concernant ces visites, mais je préfère être concis.

 

 


rencontre a bord

je voyageais du caire à alexandrie à la date prévue, car j'avais réservé ma place dans un bateau egyptien de la ligne de beyrouth. je me sentais très fatigué physiquement et mentalement, et dès mon embarquement sur le bateau, j'allais me coucher pour deux ou trois heures, lorsque je me suis réveillé j'ai entendu une voix me disant: "le frère semble être épuisé?"

j'ai répondu affirmativement: "le voyage du caire à alexandrie m'a épuisé, et pour être à l'heure j'ai sacrifié trop d'heures de sommeil."

j'ai compris à son accent qu'il n'était pas egyptien et ma curiosité me poussait à faire sa connaissance. je me suis présenté à lui, et j'ai appris qu'il était irakien, conférencier à l'université de bagdad, s'appelait monem, et venait en provenance du caire où il avait présenté sa thèse de doctorat à l'université al azhar.

nous commençâmes une conversation sur l'egypte et le monde arabo-musulman, nous parlions de la défaite des arabes et de la victoire des juifs, les sujets dans ce domaine sont malheureusement nombreux. j'expliquais que la cause de la défaite était la division des arabes et des musulmans en plusieurs petits pays, ainsi malgré leur population nombreuse, ils n'avaient pas de poids statique.

nous parlions beaucoup de l'egypte et des egyptiens, et nous étions d'accord sur les raisons de cette défaite. j'ajoutais que je considérais cette division comme ayant été aggravée par les puissances coloniales, afin de faciliter notre occupation et notre humiliation.

j'exposais également mon dépit face aux divisions religieuses entre les "malikites" et les "hanifites". je lui racontais une triste histoire qui m'était arrivé à la mosquée "abou-hanifa" au caire. où un homme après la prière, me demanda pourquoi je ne croisais pas les bras en priant, j'ai répondu avec respect et courtoisie que je suis "maliki" et que les "malikites" préfèrent détendre les mains pendant les prières, il me répondit brutalement: "va à la mosquée des malikites alors et fais tes prières là bas!".

j'ai quitté la mosquée avec dégoût et amertume et de plus en plus perplexe face à l'état de ma religion.

le professeur irakien a sourit en m'annonçant qu'il était un chi'ite, j'étais troublé par cette nouvelle et sans réfléchir je lui ai dis: "si je savais que tu étais un chi'ite, je ne t'aurais parlé" ; il m'a demandé: "pourquoi ?".

je répliquais: "parce que vous n'êtes pas musulmans!; vous adorez ali ibn abi-taleb, et les modérés parmi vous adorent dieu, mais ne croient pas au message du saint prophète mohammed au lieu de le donner à ali.

pendant que je continuais mon argumentation mon compagnon m'écoutait attentivement, souriant quelques fois et montrant son étonnement maintes fois.

quand je terminais il m'a demandé de nouveau: "es-tu un professeur qui enseigne à des étudiants ?" j'ai répondu: "oui."

il me dit alors gravement: "si les professeurs pensent ainsi, nous ne pouvons blâmer les gens ordinaires qui ont une éducation modeste."

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