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Comment aimer Allah ?

Mohammad Mahdi al-Âçifî

La relation avec Allah

La relation avec Allah, sous sa forme la plus saine est constituée d'une série d'éléments harmonieux et concordants qui, réunis, forment la relation correcte avec le Créateur.

Les références islamiques refusent de concevoir la relation avec Allah sur la base de l'élément unique, tel que la peur ou l'espoir, l'amour ou le recueillement, et considèrent qu'une telle relation est dépouillée d'harmonie et d'équilibre. Les éléments qui composent la relation avec Allah sont très nombreux et mentionnés en détail dans les versets coraniques, les hadith et les Prières de demandes.

Ce sont essentiellement: l'espoir (en Allah), la peur (d'Allah), l'imploration, le recueillement, l'humilité, l'appréhension, l'amour, le désir, la familiarité, l'anâbah (le retour vers Allah, repentant), le tabattul (retraite spirituelle, récollection), l'istighfâr (demande de pardon), la crainte, l'obéissance, l'asservissement (à Allah), le thikr (l'invocation d'Allah), la pauvreté (le besoin d'Allah), l'i'tiçâm (se protéger par Allah).

Ainsi, dans un do'â, l'Imâm Zayn al-'Âbidîn (p) dit:

«Ô Seigneur! Je Te demande de remplir mon coeur d'amour de Ton Amour et de Ta crainte, de croyance et de Foi en Toi, de Ton appréhension et de Ton désir».(1)

De ces éléments multiples se forme un beau spectre harmonieux de la relation avec Allah. Chacun de ces éléments constitue une porte de la Miséricorde et de la Connaissance d'Allah. Ainsi, la demande de la miséricorde ouvre la porte de la Miséricorde d'Allah, et la demande de pardon ouvre la porte du Pardon d'Allah.

De même chacun de ces éléments est considéré en soi comme une voie pour le mouvement ou la conduite vers Allah. D'autre part, la crainte ou l'appréhension est une autre voie vers Allah. Le recueillement est une troisième voie vers Allah; l'espoir, le do'â ou l'espérance constitue une quatrième voie vers Allah.

L'homme doit se mouvoir vers Allah à travers différentes voies et ne pas se contenter d'une voie unique, car chaque voie conduisant à Allah a son propre charme, sa propre saveur et un délice particulier qu'on ne retrouve pas dans les autres voies. De là l'insistance de l'Islam sur le principe de la multiplicité des éléments de la relation avec Allah.

On a là un sujet vaste dans lequel nous ne voulons entrer ici.

L'Amour d'Allah - Le Très-Haut

Ce qui nous intéresse dans cet exposé c'est l'une de ces voies, celle de l'amour d'Allah, car elle est la meilleure d'entre elles, la plus sûre, la plus belle et la plus à même de nous attacher à Allah et de renforcer nos liens avec Lui.

En matière de comparaison entre ces différents éléments qui composent la relation de l'homme avec le Créateur, beaucoup de textes religieux nous fournissent suffisamment d'éclairage pour pouvoir constater que la voie de l'amour occupe une place de choix en Islam. Citons à titre d'illustration quelques-uns de ces textes:

­ Il est dit qu'Allah inspira au Prophète Dâwûd:

«Ô Dâwûd! Mon invocation appartient à ceux qui M'invoquent, Mon paradis à ceux qui M'obéissent, Mon amour à ceux qui Me désirent, et Moi, J'appartiens à ceux qui M'aiment».(2)

­ L'Imam al-Sâdiq (p) dit:

«L'amour (d'Allah) est préférable à la peur (d'Allah)».(3)

­ Mohammad Ibn Yaqûb al-Kulaynî rapporte dans son corpus, "Uçûl al-Kâfî", le hadith suivant de l'Imam al-Sâdiq (p):

«Les serviteurs (d'Allah) sont répartis en trois catégories: une catégorie de serviteurs qui adorent Allah par crainte (de Lui); leur adoration est celle des esclaves, une deuxième catégorie qui adorent Allah par l'appât de récompense spirituelle (thawâb), leur adoration est celle des commerçants, et une troisième catégorie qui adorent Allah par amour, leur adoration est celle des hommes libres, et elle est la meilleure des adorations».(4)

­ Dans le même corpus précité al-Kulaynî cite le hadith suivant du Prophète (P):

«Le meilleur des gens est celui qui s'éprend de l'adoration, l'étreint, l'aime de son coeur et la pratique avec son corps, se fait disponible pour elle et ne se soucie point de quoi sera fait le monde d'ici-bas le lendemain: aisance ou difficulté".(5)

­ L'Imam al-Sâdiq (p) dit aussi:

«Les entretiens intimes (munâjât) des "connaisseurs" (les mystiques) avec Allah reposent sur trois fondements (ou sentiments principaux): la crainte, l'espérance et l'amour. La crainte découle de la science, l'espérance de la certitude et l'amour de la connaissance. L'indice de la peur est la fuite, celui de l'espérance est la demande, et celui de l'amour est la préférence donnée au bien-aimé à toute autre chose. Lorsque la science entre dans la poitrine, le mystique craint, et lorsqu'il craint, il fuit, et lorsqu'il fuit, il est sauvé. Quand la lumière de la certitude brille dans le coeur, le mystique voit la Grâce, et lorsqu'il parvient à voir la Grâce, il espère, et lorsqu'il goûte les délices de l'espoir, il demande, et lorsqu'il obtient la satisfaction de sa demande, il trouve. Lorsque la lumière de la connaissance jaillit dans le coeur, le vent de l'amour souffle, et lorsqu'il souffle, le mystique se sent réjoui à l'ombre du Bien-Aimé auquel il donne la préférence à toute autre chose et s'attache à suivre scrupuleusement et minutieusement Ses Ordres et Ses Enseignements. Ces trois fondements sont comme le Haram (la ville de la Mecque), la Mosquée et la Kabah: quiconque entre dans le Haram jouit de l'immunité contre les poursuites des gens, et quiconque entre dans la Mosquée, ses sens sont assurés qu'ils ne seront pas utilisés pour commettre un péché, et quiconque entre dans la Kabah, son coeur est assuré qu'il ne sera pas occupé à autre chose que l'invocation d'Allah».(6)

­ On rapporte le hadith suivant du Prophète (P):

«Le Prophète Chuayb (p) pleura d'amour d'Allah jusqu'à ce qu'il fût aveugle. Allah lui a révélé alors: "O Chuayb! Si tu avais pleuré par peur de l'Enfer, Je t'en épargne, et si tu avais pleuré par désir du Paradis, Je te l'accorde". Chuayb répondit: "O mon Seigneur et Maître! Je n'ai pleuré ni par peur de Ton Enfer ni par désir de Ton Paradis, mais parce que Ton amour est entré dans mon coeur et je ne peux plus patienter jusqu'à ce que je Te voie". Allah - que Sa Gloire soit sublime - lui révéla alors: "Si c'est ainsi, Je te ferai servir par mon interlocuteur Mûsâ Ibn Imrân"».(7)

­ Dans le Livre d'Idrîs (p) on peut lire ceci:

«Bienheureux sont ceux qui M'ont adoré par amour et M'ont adopté comme Dieu et Seigneur, et qui ont veillé la nuit et travaillé le jour pour Ma Face, et non par crainte de l'Enfer ni par désir du Paradis, mais uniquement par amour pur, par une volonté claire et en abandonnant tout pour s'adonner totalement à Moi».(8)

et:

«Qu'il soit aveugle l'oeil qui ne voit en Toi un surveillant et qu'elle soit perdante la tractation d'un serviteur, qui ne recherche pas à lui obtenir une part de Ton amour».(9)

La foi et l'amour

Les enseignements islamiques nous apprennent que la foi, c'est amour:

- Selon l'Imam al-Bâqer (p):

«La foi est amour et haine».(10)

- Al-Fudhayl Ibn Yasar témoigne:

«J'ai demandé à l'Imam al-Sâdiq (p): "L'amour et la haine ont-ils un lien avec la foi?" L'Imam al-Sâdiq (p) m'a répondu: "Mais la foi est-elle autre chose qu'amour et haine!?"»(11)

- Selon l'Imam al-Sâdiq encore:

«La Religion est-elle autre chose que l'amour? Allah - Il est Puissant et Sublime - dit: Si vous aimez Allah, suivez-moi; Allah vous aimera et vous pardonnera vos péchés. Allah est Celui qui pardonne; Il est le Miséricordieux. (Sourate Âle 'Imrân, 3: 31)»(12)

- Selon l'Imam al-Bâqer aussi:

«La Religion, c'est l'amour et l'amour c'est la Religion».(13)

Le plaisir de l'amour

Si l'acte d'adoration d'Allah est fait par amour, par désir et par soif, il procure un plaisir inégalable.

­ L'Imam 'Alî Ibn al-Hussain, dit Zayn al-Âbidîn (p) qui est bien placé pour parler de la douceur de l'amour et de l'invocation d'Allah dit à ce propos:

«Ô mon Seigneur! Qu'il est bon le goût de Ton amour et qu'il est doux le boire de Ta proximité».(14)

Cette douceur et ce plaisir que procure l'amour d'Allah sont solidement implantés et fixés dans les coeurs des intimes d'Allah et non accidentels ni fugaces ni passagers. Et lorsque le plaisir de l'amour d'Allah se fixe dans le coeur du croyant pieux, ce coeur est illuminé par l'amour d'Allah, et se met pour toujours à l'abri de Sa torture.

En effet l'Imam 'Alî (p) s'adressant à Allah dit:

«O Seigneur! Par Ta Puissance et Ta Majesté! Je T'ai aimé d'un amour dont la douceur s'est fixée dans mon coeur; or le for intérieur de Tes fidèles serviteurs monothéistes ne saurait concevoir que Tu puisses détester ceux qui T'aiment!».(15)

­ À propos de cet état fixé et permanent d'amour divin, l'Imam 'Alî Ibn al-Hussain (p) dit:

«Par Ta Puissance et Ta Gloire, Ô Seigneur, même si Tu venais à me gronder, je ne quitterais jamais Ta porte, ni ne cesserais de Te flatter, ayant su l'immensité de Ta Générosité et de Ta Noblesse».(16)

Et lorsque le croyant pieux découvre le goût délicieux de l'amour d'Allah, rien ne pourra dès lors supplanter cet amour irremplaçable. Ecoutons ce que dit à ce propos l'Imam Zayn al-'Âbidîn (p):

«Qui eût pu songer à Te chercher un remplaçant après avoir goûté aux délices de Ton amour! ou désirer quelqu'un d'autre que Toi après s'être délecté de Ta Proximité!?»(17)

Si les gens vont à gauche et à droite ou s'attachent à ceci ou à cela, c'est parce qu'ils sont privés de l'amour d'Allah, car ceux qui ont eu la chance de connaître les délices de l'amour d'Allah, sont tellement comblés qu'ils ne désirent plus rien d'autre. C'est du moins ce que nous laisse deviner l'Imam 'Alî Ibn al-Hussain (p):

«Qu'a-t-il trouvé celui qui T'a perdu! et qu'a-t-il perdu celui qui T'a trouvé!».(18)

Il est à remarquer que l'Imam Zayn al-'Âbidîn demande pardon à Allah pour tout plaisir éprouvé en dehors du plaisir de l'amour d'Allah, pour toute occupation en dehors de celle de l'invocation d'Allah, pour toute réjouissance qui ne soit celle de la Proximité d'Allah, et ce, non qu'Allah ait interdit tout cela à Ses serviteurs, mais parce que de tels plaisirs et réjouissances distraient le coeur du croyant de son Créateur, ne serait-ce que pour un court laps de temps, car un coeur qui a goûté le plaisir de l'amour d'Allah ne saurait se détacher d'Allah, même l'espace d'une seconde.

Dans la vie des serviteurs pieux d'Allah tout effort, toute chose, tout acte et même tout sentiment s'inscrivent dans la prolongation de l'amour d'Allah, de l'invocation d'Allah, de l'obéissance à Allah. Tout ce qui sort de cette ligne ou de son prolongement est considéré par eux comme éloignement d'Allah, dont ils Lui demandent pardon. C'est pourquoi l'Imam Zayn al-'Âbidin (p) dit:

«Ô Seigneur! Je Te demande pardon de tout plaisir ressenti en dehors de Ton invocation, de tout repos sans Ta compagnie, de tout contentement sans Ta proximité, et de toute occupation sans Ton obéissance».(19)

L'amour pallie les carences dans les actes

L'amour d'Allah est inséparable des actes d'adoration; et pour quiconque aime Allah, les actes, le mouvement et l'effort sur le Chemin d'Allah constituent les signes de cet amour. Cependant l'amour pallie la négligence des actes et intercède en faveur du croyant auprès d'Allah lorsqu'il fait preuve de négligence dans ses actes. En effet l'amour est un intercesseur efficace auprès d'Allah.

L'Imâm Zayn al-'Âbidîn, dit dans un do'â, rapporté par Abû Hamza al-Thamâlî:

«Ma connaissance (de Toi) est mon guide vers Toi, et mon amour pour Toi est mon intercesseur auprès de Toi. Or je suis sûr de mon guide par Ta Guidance et je suis confiant dans l'efficacité de mon intercesseur auprès de Toi».(20)

Quels bons guides, intercesseurs, connaissance et amour! Un serviteur dont le guide vers Allah est la connaissance d'Allah ne s'égare jamais, et un serviteur dont l'intercesseur auprès d'Allah est l'amour d'Allah, ne manque jamais sa route et son but vers Allah.

L'Imam Zayn al-'Âbidîn dit à ce propos:

«Ô mon Dieu! Tu sais que même si dans la pratique mon obéissance à Toi n'est pas un exemple de régularité, l'amour de Ton obéissance et la ferme résolution de T'obéir restent en moi permanents et réguliers».

Là, l'Imam nous apprend que s'il arrive que nous doutions de notre obéissance à Allah dans nos actes et qu'il nous soit impossible d'être certains d'obéir impeccablement et toujours au Créateur, néanmoins nous pouvons être sûrs et certains de la permanence de notre amour d'Allah et de notre volonté inébranlable de continuer à Lui obéir et à L'aimer. En effet, tout serviteur ayant éprouvé dans son coeur l'amour d'Allah, n'en doutera jamais. Certes ce serviteur pourrait être négligent dans l'observance de l'obéissance ou commettre un acte qu'Allah déteste ou une désobéissance qu'Allah n'aime pas, mais ce faisant il est impossible qu'il déteste l'obéissance ou qu'il aime le péché. Car les membres ou les sens du serviteur pieux pourraient glisser dans les péchés, attirés par Satan ou la passion, ou être négligents dans l'obéissance à Allah, mais son coeur est imperméable à tout ce qui n'est pas l'amour et l'obéissance à Allah, et la détestation de Sa désobéissance.

Ainsi l'Imam 'Alî Ibn al-Hussain implore:

«Ô mon Seigneur! J'aime T'obéir même s'il m'arrive de le négliger, et je déteste de Te désobéir, même s'il m'arrive de le faire. Aussi Te demanderais-je de me faire la faveur de me destiner au Paradis».(21)

Telle est la différence entre les sens et les sentiments: les premiers pourraient ne pas suivre toujours les seconds, ceux-ci pourraient se soumettre totalement à l'emprise de l'amour d'Allah, alors que ceux-là pourraient y manquer, mais si le coeur est sain et bon, les sens finiront inévitablement par le suivre et Lui obéir. En un mot, tôt ou tard, les sens et les membres ne pourront qu'exécuter ce que veulent et demandent les sentiments, comblant de la sorte le fossé qui les sépare grâce à la sincérité du coeur.

L'amour protège le serviteur de la torture

Si les péchés font déchoir le serviteur aux yeux d'Allah et l'exposent à Son châtiment et à Sa torture, l'amour d'Allah l'en protège. Dans l'une de ses Supplications, l'Imam Zayn al-'Âbidîn dit:

«Ô mon Seigneur! Mes péchés me font peur, mais mon amour pour Toi me protège».(22)

Les degrés et les phases de l'Amour d'Allah

L'amour d'Allah a des degrés et des phases dans les coeurs des serviteurs. Il pourrait être faible et à peine ressenti chez un serviteur, épanoui et fort ne laissant de place à aucune autre occupation susceptible de le distraire d'Allah, chez un autre. Chez d'autres encore, il s'avère tellement intense et dominant que le croyant pieux a beau se plonger pendant de longues heures dans les invocations, les supplications, la prière et le recueillement dans l'action et l'effort sur la voie d'Allah, il ne parviendrait pas à étancher sa soif d'adoration.

L'Imam Ja'far al-Sâdiq (p) dit à ce propos dans l'un de ses Do'â':

«Ô mon Seigneur! J'ai faim et de Ton amour je ne me rassasie jamais; je suis assoiffé, et ma soif de Ton amour ne saurait être étanchée! Ô combien est ardent mon désir de Celui Qui me voit sans que je Le voie».

Et l'Imam 'Alî Ibn al-Hussain (p) ne dit pas autre chose:

«(Ô Seigneur) ma soif ardente ne peut être apaisée que par Ton contact, ma souffrance agitée ne se calme que par Ta rencontre et mon désir de Toi ne s'assouvit qu'en Te regardant».(23)

L'expression de l'amour la plus éloquente et la plus merveilleuse, on la trouve dans le do'â' que l'Imam 'Alî a enseigné à Kumayl ibn Ziyâd al-Nakh'î et connu sous le nom de "Do'â' Kumayl":

«À supposer, Ô Mon Dieu, Mon Maître, Mon Souverain et Mon Seigneur, que je puisse supporter le supplice que Tu m'infligerais, comment pourrais-je endurer ma séparation de Toi? et à supposer que je puisse endurer la chaleur de Ton enfer, comment pourrais-je supporter l'idée de ne plus aspirer à Ta Générosité? Et comment pourrais-je rester calme en enfer alors que j'aspire à Ton Pardon?"(24)

L'amoureux pourrait supporter la punition de son bien-aimé, mais pas sa colère ni sa haine contre lui. Il pourrait aussi supporter le feu, pourtant insupportable, mais pas la séparation avec son bien-aimé.

Cet amour et cet espoir que le serviteur continue à éprouver envers son Maître, alors même qu'Il lui fait subir le feu et lui montre Sa colère, constituent la plus belle des images de ce do'â' auguste. En effet, il est possible que l'esclave éprouve de l'amour pour son maître pendant qu'il jouit de ses bienfaits et bénéficie de ses faveurs. Et cet amour est sûrement vrai et sincère. Mais l'amour absolu ou suprême, c'est celui qui ne quitte point le coeur du serviteur, même lorsque celui-ci subit l'atrocité du feu de son Maître.

L'Imam Zayn al-'Âbidîn exprime le même amour absolu d'Allah, dans la célèbre prière de demande - dit "Do'â' al-Sahar" - qu'il a apprise à Abû Hazah al-Thamâlî:

«Ô par Ta Puissance (O Seigneur), même si Tu venais à me gronder, je ne quitterais pas Ta porte, ni ne cesserais de Te flatter. Car, vers qui pourrait se diriger le serviteur, sinon vers son Maître!? et près de qui pourrait se réfugier la créature, sinon chez son Créateur!? O mon Dieu! Si Tu venais à m'attacher aux garrots, à m'interdire Ta faveur devant tout le monde, à dévoiler mes scandales devant les yeux des serviteurs, à ordonner mon envoi en enfer, et à T'interposer entre moi et les croyants pieux, je ne perdrais pas mon espoir en Toi, ni ne cesserais d'espérer l'obtention de Ton Pardon, et de mon coeur Ton amour ne sortira jamais».(25)

Poursuivons cette description pittoresque et pathétique de l'amour d'Allah et de l'espoir mis en Lui, qui sont enracinés dans le coeur des hommes de piété, en revenant au Do'â' Kumayl précité de l'Imam 'Alî Ibn Abî Tâlib:

«C'est pourquoi, je jure sincèrement, par Ton Autorité, ô Mon Maître et Mon Souverain, que si Tu me laissais y (en Enfer) parler, j'y soulèverais auprès de ses habitants, un vacarme semblable au vacarme de ceux qui vivent dans l'espoir, et j'y lancerais vers Toi les cris de ceux qui crient au secours, et j'y pleurerais sur Toi comme ceux qui pleurent leurs disparus; et je T'appellerais, où que Tu sois,

Ô Seigneur des fidèles!

Ô Sommet des espoirs des connaisseurs!

Ô Secours de ceux qui crient au secours!

Ô Aimé des coeurs des véridiques!

Ô Dieu des mondes!

Gloire et louange à Toi!

Accepterais-Tu donc d'y entendre ( en enfer) la voix d'un serviteur musulman qui y serait emprisonné pour avoir commis une faute? et qui en subirait la torture pour T'avoir désobéi,

et qui serait enfermé entre ses étages pour son crime et son péché,

et qui crierait à Ton intention comme quelqu'un qui vit dans l'espoir de Ta Miséricorde,

et qui T'appellerait en usant du langage monothéiste

et qui T' implorerait par Ta Seigneurie?

Ô Mon Souverain! Comment laisser aux supplices celui qui aspire à Ta Clémence d'antan (ainsi qu'il espère obtenir Ta Grâce et Ta Miséricorde!)

Comment le laisser souffrir de Ton enfer alors qu'il espère obtenir Ta Grâce et Ta Miséricorde!

Comment le laisser brûler par ses flammes (de l'enfer) alors que Tu entends sa voix et que Tu le vois là-bas!

Comment le laisser vivre sous sa chaleur (de l'enfer) alors que Tu connais sa faiblesse!

Comment le laisser se tordre entre ses étages alors que Tu connais sa sincérité!

Comment le laisser subir le mauvais traitement de ses habitants, alors qu'il T'appelle: Ô Mon Seigneur!

Comment l'y laisser alors qu'il attend Ta Grâce pour en être libéré!

Non, jamais personne ne Te croira ainsi! car, ni ce qu'on sait de Ta grâce, ni la façon dont Tu as traité les monothéistes en leur accordant Ta Bienfaisance et Tes Bienfaits, ne permettent de le penser.

Ainsi, j'affirme avec certitude que: si Tu n'avais pas ordonné le supplice aux renégats, et que Tu n'avais pas condamné ceux qui T'ont désobéi à subir l'enfer, Tu aurais transformé celui-ci en un lieu frais et paisible, et personne n'y aurait trouvé demeure, ni lieu de détention».(26)

Quelle lecture pourrait-on faire de l'attitude que l'Imam 'Alî s'imagine adopter au cas où il tomberait en disgrâce? Attitude de refus de se résigner au châtiment et à la peine encourue, puisqu'il dit que s'il venait à être condamné à l'Enfer, il ne resterait pas les bras croisés, qu'il se mettrait à y tempêter, crier, lancer des appels etc.!? D'aucuns penseraient tout de suite qu'une telle attitude correspondrait bien à un trait saillant et originel de la personnalité de l'Imam: le courage et l'héroïsme incomparables dont il a fait preuve tout au long de sa vie et dans les champs de bataille où il n'a jamais baissé les bras dans les situations les plus difficiles et les plus périlleuses!

Mais une telle interprétation de l'attitude imaginaire de l'Imam est erronée et dénote une méconnaissance de la profondeur de sa piété et de sa soumission infinie au Créateur. La preuve en est que l'Imam commence son exposé par cette formule, au conditionnel et non à l'indicatif, adressée à Allah: «si Tu me donnais la parole... je crierais, tempêterais etc.», laquelle met en avant, plus sa soumission que son héroïsme ou son courage dans la situation qui nous intéresse.

En fait, ces propos de l'Imam et son état d'âme ici traduiraient plutôt, l'état d'un petit enfant qui ne connaît dans son univers d'autre refuge ou protection que la tendresse, l'affection, l'amour et la compassion de sa mère. Chaque fois qu'il a mal ou qu'il éprouve un sentiment de détresse, il a recours à sa mère et l'appelle au secours. Même lorsqu'il commet un geste de désobéissance envers sa mère, laquelle le punit subséquemment, il ne trouve d'autres refuge et protection qu'elle-même, et lui lance des appels au secours, exactement comme il le ferait si la peine qu'il subissait provenait de quelqu'un d'autre qu'elle.

Dans cette supplication, l'Imam 'Alî (p) nous montre qu'il ne connaît d'autre recours qu'Allah, Lequel est son seul refuge et son seul protecteur. Et lorsqu'il s'imagine qu'Allah lui inflige une peine ou qu'Il le condamne au supplice,(27) il n'hésite pas une seconde à recourir à Lui et à L'appeler au secours, comme il le fait toujours, lorsque la source de détresse vient d'ailleurs.

L'Imam Zayn al-'Âbidîn exprime la même idée dans sa célèbre munâjât:

«Si Tu venais à m'éconduire de Ta porte, près de qui d'autre pourrais-je me protéger!? et si Tu venais à me refouler de Ta proximité chez qui pourrais-je trouver abri!? Ô mon Dieu! Chez qui retourne l'esclave en fugue (fuyard) sinon à son maître!? Et qui le soustrairait à sa colère sinon lui-même!?»(28)

Et:

«Ô mon Maître! Je me protège dans Ta Grâce et je Te fuis pour me réfugier près de Toi!»(29)

Ou encore:

«Chez qui va l'esclave sinon son Maître et chez qui va la créature sinon chez son Créateur!»(30)