Comment aimer Allah ?
S'enfuir d'Allah pour se réfugier auprès d'Allah n'est pas un paradoxe. C'est un concept qui dénote une signification profonde de la relation du serviteur avec le Créateur. Les sentiments que l'Imam 'Alî (p) décrit relativement à cette relation sont des sentiments d'amour et d'espoir réels, effectifs et très sincères qui animent les coeurs des vrais adorateurs. Dans cette séquence ou plutôt dans ce magnifique tableau du do'a', l'Imam 'Alî ne donne pas libre cours à son imagination à l'instar des poètes, mais exprime et décrit très exactement et très sincèrement ses sentiments lorsqu'il se présente devant Allah. C'est pourquoi il fait suivre ce tableau qui dessine la sollicitation du serviteur de la protection d'Allah, par un autre tableau qui décrit le secours qu'Allah dépêche à Son serviteur. Car, il sait d'expérience et de par sa connaissance passée de la Miséricorde et de la Grâce d'Allah, qu'il n'est pas possible qu'Il - Il est Sublime - désappointe ces sentiments d'espoir et d'amour, purs et sincères, du serviteur, et qu'Il repousse son amour et déçoive ses espoirs:
«Comment laisser aux supplices celui qui aspire à Ta Clémence d'antan (ainsi qu'il espère obtenir Ta Grâce et Ta Miséricorde!)
Comment le laisser souffrir de Ton enfer alors qu'il espère obtenir Ta Grâce et Ta Miséricorde!
Comment le laisser brûler par ses flammes (de l'enfer) alors que Tu entends sa voix et que Tu le vois là-bas!
Comment le laisser vivre sous sa chaleur (de l'enfer) alors que Tu connais sa faiblesse!
Comment le laisser se tordre entre ses étages alors que Tu connais sa sincérité!
Comment le laisser subir le mauvais traitement de ses habitants, alors qu'il T'appelle: Ô Mon Seigneur!»
Non, il est impossible et inconcevable qu'Allah déçoive l'attente de Ses adorateurs dévoués, vu Sa Clémence et Sa Miséricorde auxquelles Il les a habitués.
Donc l'Imam 'Alî s'applique à démontrer la Clémence et la Miséricorde du Créateur, auxquelles s'attendent les adorateurs sincères par la Clémence et la Miséricorde dont ils ont déjà bénéficié: «Comment laisser aux supplices celui qui aspire à Ta Clémence d'antan!».
Notons que l'Imam 'Alî (p) est ici catégorique concernant ce volet (la ligne descendante) de la relation du Créateur avec le serviteur, de même qu'il a été catégorique dans l'autre volet (la ligne montante) de la relation du serviteur avec Allah. De même qu'il ne doute pas un instant qu'il ne se départe pas de ses sentiments d'amour infini pour Allah ni ne perde jamais son espoir en Lui, ni ne recherche aucun autre abri ou secours que Lui, quand bien même il se trouverait en Enfer, de même il a la certitude qu'Allah ne désappointe pas cet amour sincère du serviteur et son espoir tenace placé en Lui. Méditons sur ce ton d'affirmation catégorique et de certitude absolue de l'Imam 'Alî quant à l'étendue de la Miséricorde du Créateur à laquelle l'adorateur s'attend:
«Non, jamais personne ne Te croira ainsi! car, ni ce qu'on sait de Ta grâce, ni la façon dont Tu as traité les monothéistes en leur accordant Ta Bienfaisance et Tes Bienfaits, ne permettent de le penser. Ainsi, j'affirme avec certitude que: si Tu n'avais pas ordonné le supplice aux renégats, et que Tu n'avais pas condamné ceux qui T'ont désobéi à subir l'Enfer, Tu aurais transformé celui-ci en un lieu frais et paisible, et personne n'y aurait trouvé demeure, ni lieu de détention».(31)
On retrouve cette affirmation catégorique et cette certitude absolue concernant l'amour de l'adorateur pour son Maître et la Compassion d'Allah envers son serviteur dans d'autres supplications de l'Imam 'Alî et de ses successeurs bénis. Ainsi dans une célèbre Munâjât, il s'adresse à Allah dans les termes suivants:
«Ô Seigneur! (je jure) Par Ta Puissance et Ta Gloire, je T'ai aimé d'un amour dont la douceur s'est enracinée dans mon coeur; or le for intérieur de ceux qui croient à Ton Unicité ne saurait concevoir que Tu puisse détester Tes amoureux».(32)
Pour sa part, son petit-fils, l'Imam 'Alî Ibn al-Hussain dans l'une de ses munâjât dit:
«Ô mon Dieu! Comment pourrais-Tu humilier, en la délaissant, une âme que Tu as chérie par Ton Unicité! Ou comment pourrais-Tu brûler sous la chaleur de Tes feux une conscience qui a contracté Ton amour!»(33)
Et dans le Do'â' al-Sahar du mois de Ramadhân, il adresse ce monologue à Allah:
«Serait-il imaginable que Tu puisses démentir nos idées (Te concernant), ou décevoir nos espoirs (mis en Toi)! Non! ô Généreux! Telle n'est pas notre idée de Toi ni notre espérance en Toi! Car ô Seigneur! Nous avons un espoir illimité en Toi et ce que nous espérons de Toi est immense».(34)
L'état de désir et l'état de plaisir dans l'amour
L'amour peut se manifester sous deux formes: le désir ou le plaisir.
Les deux états expriment l'amour mais dans deux situations différentes. L'état de désir atteint l'amoureux lorsqu'il se trouve éloigné de celui qu'il aime, alors qu'il vit l'état de plaisir lorsqu'il côtoie son bien-aimé.
Les deux états s'alternent dans le coeur de l'adorateur vis-à-vis d'Allah suivant ces deux formes de manifestation, car Allah se manifeste devant le serviteur tantôt de loin tantôt de près. Lorsqu'Il se manifeste de loin, l'adorateur éprouve un état de désir, et lorsqu'Il se manifeste de près («où que vous soyez, Il est avec vous»(35), «Nous sommes plus près de lui que la veine de son cou»(36), «Quand Mes serviteurs t'interrogent à Mon sujet; Je suis tout près et Je réponds à l'appel de celui qui M'appelle»(37)).
Méditons maintenant les propos suivants, très significatifs, de l'Imam al-Mahdi dans Do'â' al-Iftitâh:
«Louanges à Allah dont le voile est inviolable et dont la porte ne se ferme jamais».(38)
Il y a deux sortes de voile: le voile d'obscurité et le voile de lumière. La vue de l'homme pourrait ne pas fonctionner soit à cause de la densité du voile d'obscurité soit sous l'effet de la haute tension de l'ardeur (brillance, luminosité) de la lumière. Ainsi, l'homme ne pourrait pas voir le soleil, non à cause d'une barrière quelconque, mais en raison de la vivacité de l'ardeur du soleil qui forme ce que nous appelons le voile de lumière.
Dans la relation de l'homme avec Allah, le voile d'obscurité c'est l'amour de la vie d'ici-bas et la tendance à commettre de mauvaises actions et des péchés, alors que le voile de lumière y est tout autre chose: c'est le voile inviolable ou infranchissable, selon l'expression du Maître du Temps, l'Imam al-Mahdi ().
Et c'est précisément ce voile qui attise le désir et la soif d'Allah dans les coeurs des serviteurs pieux, comme nous le décrit l'Imam Zayn al-'Âbidîn (p):
«(Ô Seigneur) ma soif ardente ne peut être apaisée que par Ton contact, ma souffrance agitée ne se calme que par Ta rencontre, mon désir de Toi ne s'assouvit qu'en regardant Ta Face, mon but ne sera fixé qu'en m'approchant de Toi, mon affliction ne sera conjurée que par Ta Miséricorde, ma maladie ne sera guérie que par Ta Médecine, mon chagrin ne sera enlevé que par Ta Proximité, ma blessure ne sera cicatrisée que par Ton amnistie, la rouille de mon coeur ne sera dérouillée que par Ton Pardon! ... Ô Sommet de l'espoir de ceux qui espèrent! Ô Point de mire des solliciteurs! Ô Zénith de la demande des demandeurs! Ô Faîte du désir des désireux! Ô Ami des serviteurs vertueux! Ô Sécurité de ceux qui ont peur! Ô Exaucement de la prière des nécessiteux! Ô Réserve des dépossédés! Ô Trésor des misérables!»(39)
Le pendant de cette manifestation divine (tajallî) est une autre sorte de théophanie: la manifestation d'Allah devant Ses serviteurs sans qu'il y ait entre Lui et eux une porte qui se ferme: Il écoute leurs monologues suppliants (munâjât), et se trouve plus près d'eux que leur veine jugulaire; Il s'interpose entre le serviteur et son coeur et rien de ce qui se passe dans les coeurs des adorateurs ne Lui échappe. Et là, le serviteur pressent la présence de son Maître, craint de Lui désobéir ou de commettre ce qui pourrait Lui déplaire, éprouve un plaisir de L'invoquer et se livre à Lui par des monologues suppliants et Lui adresse des implorations et des prières et prolonge inlassablement sa station devant son Bien-Aimé Créateur.
En effet, il est de notoriété publique que lorsqu'on se trouve en présence d'une personne qu'on aime et affectionne, le temps passe vite et on n'éprouve aucune lassitude ni ennui. Que dire alors quand nous sentons Allah tout près de nous, en train de nous écouter, nous voir, entendre nos prières et supplications: «Où que vous soyez, Il est avec vous. Dieu voit parfaitement ce que vous faites!»(40) et que nos invocations nous apportent un apaisement et une quiétude que nous ne pourrons retrouver dans n'importe quelle autre situation: «N'est-ce pas au rappel d'Allah que les coeurs se tranquillisent!?»(41)
L'Imam al-Mahdi () dit dans son Do'â' al-Iftitâh:
«Aussi me suis-je mis à T'appeler en toute confiance, et à Te solliciter avec gaieté, sans peur ni crainte, exigeant de Toi avec familiarité ce pour quoi j'étais venu vers Toi».(42)
Sans doute, cet état de plaisir, de sécurité et de quiétude qu'éprouve l'adorateur lorsqu'il se sent près d'Allah représente-t-il l'un des meilleurs états du serviteur vis-à-vis de son Seigneur. Néanmoins, il ne constitue pas l'idéal dans la relation de l'homme avec Allah. Il doit être associé à l'état de désir pour qu'il soit complet, équilibré et harmonieux.
En effet, ces deux états prévalent dans l'adoration des serviteurs pieux et proches d'Allah et dans leur relation avec Lui. Mais tantôt c'est l'état de désir qui constitue le trait marquant de cette relation et cette adoration, tantôt c'est l'état de plaisir doux, de quiétude et de sécurité, et tantôt tous les deux; et c'est ce dernier état qui devrait prédominer notre relation avec Allah, car il est plus harmonieux et plus équilibré.
Observons à cet égard l'Imam Zayn al-Âbidîn (p) à travers ces différentes supplications qui nous en fournissent la meilleure illustration:
- Hammâd Ibn al-'Attâr al-Kûfî témoigne: «Alors que je voyageais avec une caravane pour le pèlerinage, une tempête noire et ténébreuse s'est soulevée. La caravane se disloqua et je m'égarai dans le désert et parvint enfin à une vallée déserte. À la tombée de la nuit, je m'abritai sous un arbre. Lorsque l'obscurité s'intensifia, je vis venir un jeune homme portant des vêtements blancs usés et exhalant un parfum de musc. Je me dis alors que c'était sûrement un ami d'Allah, et qu'il pourrait s'en aller s'il découvrait ma présence. Aussi restai-je immobile et évitai-je de faire le moindre mouvement afin de ne pas le faire fuir et de ne pas l'empêcher d'accomplir ce pour quoi il était venu. Le jeûne homme s'approcha de l'endroit (où je me trouvai) et se prépara à la prière. Il s'éleva soudain et se mit à implorer:
"Ô Toi qui as acquis toutes choses par Ta Royauté et vaincu toutes choses par Ta Puissance! Fais entrer dans mon coeur la joie de Ton désir et insère-moi dans le rang de Tes serviteurs obéissants".
»Après quoi il accomplit la prière. Puis lorsque l'obscurité se dissipa, il bondit, se mit debout et supplia:
"Ô Toi vers Qui les solliciteurs se sont dirigés pour en trouver le meilleur Guide, et près de Qui les gens terrifiés sont venus s'abriter pour en découvrir le meilleur Pourvoyeur de faveurs et à Qui les adorateurs ont fait appel pour en constater le meilleur donateur! Ô mon Dieu! Quand a-t-il connu le repos celui qui a confié à quelqu'un d'autre que Toi son corps! Et quand a-t-il connu la joie celui qui a destiné à quelqu'un d'autre que Toi son intention!..."».(43)
- Al-Açma'î relate: «Une nuit, alors que j'accomplissais le tawâf (tour) de la Ka'bah je vis un jeune homme aux bonnes manières s'accrocher aux rideaux de la Ka'bah en priant:
"Les yeux se sont endormis et les étoiles se sont hissées, alors que Toi, le Vivant, le Subsistant, Ta porte reste ouverte aux solliciteurs pendant que les rois ont fermé les leurs en les faisant surveiller par leurs gardes. Je suis venu donc près de Toi pour que Tu me regardes avec Ta Miséricorde, ô Toi le plus Miséricordieux des miséricordieux!".
»Puis il récita ces vers:
"Ô Toi qui exauces la prière du nécessiteux dans l'obscurité! Ô Toi qui conjures le mal, les épreuves et les maladies!
Tes pèlerins se sont tous déjà endormis, et Toi, Tu es le seul à ne pas dormir, ô Subsistant!
Je Te prie, ô Seigneur, comme Tu nous l'as demandé! Aie donc pitié de mes pleurs, par l'amour de la Maison et du Sanctuaire!
Car, si un ignorant ne pouvait espérer Ton Pardon, qui accorderait alors les bienfaits aux désobéissants!?"
»En le suivant j'ai su que c'était l'Imam Zayn al-Âbidîn».(44)
Tâwûs al-Faqîh rapporte: «J'ai vu l'Imâm al-Sajjâd faire le tawâf de la Ka'bah et accomplir des actes d'adoration depuis la tombée de la nuit jusqu'à la fin de la nuit. Lorsqu'il n'y vit plus personne, il regarda le ciel et dit:
"Par Ta Puissance et Ta Gloire! Je n'ai pas cherché à m'opposer à Toi lorsque j'ai commis un acte de désobéissance. Ce n'est pas par doute à Ton égard, ni par ignorance de l'exemplarité de Ta punition, ni par défi à Ton Châtiment, que je T'ai désobéi, mais par un caprice de mon âme conjugué avec le voile par lequel Tu couvres mes méfaits! Et à présent qui pourrait me soustraire à Ta torture!? Et à quelle corde je pourrais m'accrocher, si Tu venais à me détacher de la Tienne!? Quel malheur m'attendrait demain: lorsque je serai présenté devant Toi et qu'on dira aux gens au livret de péchés allégé: "passez" et à ceux au livret de péchés chargé: "descendez!" Passerai-je avec les "allégés" ou descendrai-je avec les "chargés"!? Malheur à moi! Plus je vis plus longtemps, plus mes péchés augmentent sans que je me repente! N'est-il pas temps que j'ai honte devant mon Seigneur!?"
»Puis il pleura et récita ces vers:
"Me brûles-Tu au Feu, ô Sommet des espoirs!? Qu'adviendrait-il alors de mon espoir, et puis de mon amour!?
J'ai commis des actes détestables par désinvolture, et un crime comme le mien n'est perpétré par aucune autre créature".
»Ensuite il pleura encore et implora:
"Gloire à Toi! On Te désobéit comme si on ne Te voyait pas, alors Tu Te montres Clément comme si Tu n'étais pas désobéi! Tu recherches l'amitié de Tes créatures par Ta Bienfaisance, comme si Tu avais besoin d'elles, alors que Tu Te passes absolument d'elles, o mon Seigneur!?"
»Après quoi, il se prosterna. Je m'approchai alors de lui, relevai sa tête et la déposai sur mon genou et me mit à pleurer jusqu'à ce que mes larmes aient coulé sur sa joue. Là, l'Imam (p) redressa son buste et s'assit en me demandant: "Qui est celui qui a interrompu mes invocations d'Allah?". "Je suis Tâwûs, ô fils du Messager d'Allah. Pourquoi toute cette angoisse et toute cette crainte!? C'est à nous de faire ce que tu fais, parce que nous sommes pécheurs et désobéissants, alors que toi, tu as pour père al-Hussain Ibn 'Alî, pour mère Fâtimah al-Zahrâ' et pour grand-père le Messager d'Allah", lui dis-je. L'Imam me répliqua: "Jamais! Jamais! Ô Tâwûs! Ne me parle pas de mon père, de ma mère et de mon grand-père. Allah a créé le Paradis et l'a destiné à quiconque Lui obéit, serait-il un esclave abyssin, et Il a créé l'Enfer en le destinant à quiconque lui désobéit, serait-il un Noble (Sayyid) de Quraych. N'as-tu pas entendu cette Parole d'Allah: Quand on soufflera dans la trompette, ce Jour-là, il ne sera plus question, pour eux, de généalogies et ils ne s'interrogent plus. (sourate 23, verset 101). Par Allah, demain rien ne te sera utile, si ce n'est une bonne action que tu auras accomplie"».(45)
Les do'â' et les entretiens intimes (munâjât) attribués aux Imams d'Ahl-ul-Bayt (p), et notamment les quinze célèbres munâjât de l'Imam Zayn al-'Âbidîn (al-Sajjâd), cités par al-Majlicî dans "Bihâr al-Anwâr" sont riches en ce genre d'images vivantes et mouvantes qui expriment le plaisir et le désir.
Citons, avant de conclure ce chapitre, quelques-unes de ces images très évocatrices qui constituent le domaine quasi exclusif des Imams d'Ahl-ul-Bayt et un trésor unique en son genre:
«Seigneur! Qui donc ayant goûté aux délices de Ton Amour pourrait désirer un autre que Toi!?
Qui donc ayant joui du plaisir de Ta Proximité chercherait un autre que Toi!?
Ô Mon Dieu! Donne-nous d'être au nombre de ceux que Tu as élus pour Ta Proximité et pour Ton Amitié,
que Tu as fait se réserver à Ton amour et à Ton affection,
que Tu as fait désirer Ta rencontre et agréer Ta Volonté,
et à qui Tu as permis de regarder Ta Face,
que Tu as favorisés par Ta Satisfaction et mis à l'abri de Ton abandon et de Ta haine,
à qui Tu as préparé la place de Vérité à Tes côtés,
que Tu as réservés pour Ta connaissance,
que Tu as qu'Alîfiés pour Ton adoration,
dont Tu as rendu le coeur passionné de Ta Volonté,
que Tu as fait aimer et inspirer Ton invocation,
que Tu as amenés à être reconnaissants envers Toi et occupés à Ton adoration,
que Tu as rendus de bons serviteurs parmi Tes créatures,
que Tu as choisis pour s'adonner aux entretiens intimes (munâjât) avec Toi, dont Tu as coupé toutes attaches qui pourraient les éloigner de Toi.
Ô Seigneur!
Fais que nous soyons au nombre de ceux qui ont l'habitude de trouver l'apaisement auprès de Toi et s'attendrir pour Toi, qui passent leur vie en soupirs et gémissements, dont les fronts sont prosternés devant Ta Grandeur, dont les yeux veillent à Ton service, dont les larmes coulent par Ta crainte, dont les coeurs sont attachés à Ton amour et les viscères arrachées par peur de Ta Colère.
Ô Toi dont les rayonnements de la Sainteté brillent pour les regards de ceux qui T'aiment et dont la Lumière désire les coeurs de ceux qui Te connaissent!
Ô Voeu des coeurs des désireux! Ô sommet des espoirs des connaisseurs (d'Allah)! Je sollicite auprès de Toi Ton amour et l'amour de ceux qui T'aiment, ainsi que l'amour de toute action qui me conduira à Ta proximité.
Fais que je T'aime plus que tout autre, que mon amour pour Toi soit un guide vers Ton agrément, que mon désir de Toi soit un rempart contre Ta désobéissance.
Accorde-moi la faveur de (pouvoir) Te regarder. Regarde-moi avec affection et compassion et ne détourne pas de moi Ton visage».(46)
Dans cette séquence de sa munajât, l'Imam al-Sajjâd demande à Allah trois faveurs de la plus haute importance.
Il Lui demande tout d'abord de le choisir pour Sa Proximité, de dépouiller son coeur de toute affection en dehors de son amour pour Lui, de lui permettre de regarder Sa Face, de lui inspirer Son invocation, de couper toutes ses attaches susceptibles de l'éloigner de Lui etc.
Ce début est nécessaire pour la réalisation de la demande que l'Imam formule à l'adresse du Seigneur, à savoir le mouvement vers la Proximité d'Allah, car il est indispensable que le serviteur demande au Créateur de lui accorder les moyens de ce mouvement ou les clés qui ouvrent le passage vers Lui.
En effet lorsqu'Allah accorde à un serviteur une faveur, Il lui donne le moyen d'y accéder. Or les portes par lesquelles l'homme entre pour partir au sommet de la rencontre avec le Seigneur et pour pouvoir regarder Sa Face sont:
1- Le dépouillement du coeur de toute passion et de tout amour de la vie d'ici-bas, de toute préoccupation d'ordre mondain ou terrestre, et de tout attachement à ce monde, et c'est ce que les uléma appellent le vidage (takhliyah), ou le fait de vider le coeur de tout souci et de tout attachement relatifs à quelque chose d'autre que Lui. La meilleure illustration en est ce passage des munâjât précités de l'Imam al-Sajjâd:
«Donne-nous d'être au nombre de ceux que Tu as fait se réserver à Ton amour et à Ton affection.
Donne-nous d'être au nombre de ceux que Tu as fait ne regarder que Toi et dont Tu as dépouillé le coeur (de tout amour qui ne soit pas) pour Toi.
Fais que nous soyons au nombre de ceux dont Tu as coupé toutes attaches qui pourraient les éloigner de Toi».
2- Le deuxième point dans ce début est selon le jargon des scolastiques, le (tahliyah), c'est-à-dire l'octroi de tout ce qui est positif, par opposition au premier point dit (takhliyah) - le dépouillement de tout ce qui est négatif - . En effet, ici, l'Imam (p) demande à Allah de lui accorder les faveurs suivantes:
«Donne-nous d'être parmi ceux que Tu as fait agréer Ta Volonté, à qui Tu as accordé Ta Satisfaction, que Tu as réservés pour Ta connaissance, que Tu as qu'Alîfiés pour Ton adoration, que Tu as fait désirer ce que Tu possèdes, à qui Tu as inspiré Ton invocation, que Tu as amenés à être reconnaissants envers Toi et occupés à Ton culte, que Tu as rendus de bons serviteurs parmi Tes créatures, que Tu as choisis pour s'adonner aux entretiens intimes (munâjât) avec Toi. Et fais que nous soyons au nombre de ceux dont les fronts sont prosternés devant Ta Grandeur, dont les yeux veillent à Ton service, dont les larmes coulent par Ta crainte, dont les coeurs sont attachés à Ton amour et les viscères arrachées par peur de Ta Colère».
Donc ce début, par ses deux points, constitue la clé du mouvement vers Allah et le point de départ de l'homme vers la réalisation de son but suprême, la rencontre d'Allah.
La deuxième demande découle de la première et constitue l'étape intermédiaire du mouvement montant vers Allah, étape sans laquelle l'homme ne saurait se mouvoir vers Lui ni parvenir à Sa Proximité «dans un séjour de Vérité, auprès d'un Roi Tout-Puissant».(47)
Le vaisseau qui transporte l'homme vers ce but que tout véridique, tout Prophète, tout serviteur pieux et tout martyr désirent ardemment atteindre, est l'amour et le désir d'Allah et le plaisir de se sentir près de Lui, amour désir et plaisir sans lesquels le serviteur ne pourra espérer atteindre à cette place sublime près de Lui. Or cet amour et ce désir d'Allah et ce sentiment de plaisir que l'homme éprouve auprès de Lui sont des dons d'Allah: Il les accorde à ceux qu'Il élit et choisit parmi Ses créatures.
Aussi l'Imam al-Sajjâd (p) insiste-t-il sur cette demande et implore-t-il Allah par différents moyens d'expression d'y accéder, notamment en Lui lançant cet appel pathétique et en s'adressant à Lui par ce merveilleux vocatif: «Ô Voeu des coeurs des désireux! Ô Sommet des espoirs des aimants!», pour Le supplier de le faire L'aimer, de le faire aimer tous ceux qui L'aiment et de le faire aimer toute action susceptible de le rapprocher de Sa Proximité.