en fait, la déclaration des droits de l'homme est une philosophie, et non pas une loi. de là, elle devrait être ratifiée par les philosophes et non par les législateurs. aucun parlement ne peut déposer une philosophie à travers un débat et un vote. car, autrement, on devrait proposer au parlement la ratification de la théorie de la relativité d'einstein ou la théorie de l'existence de la vie sur dautres planètes. la loi naturelle ne saurait être ratifiée ou rejetée de la même façon qu'on ratifie ou rejette une loi positive [promulguée par l'homme], de la même manière qu'il est absurde de dire que si le parlement ratifiait que si un poirier était greffé sur un pommier le produit serait bon mais s'il était greffé sur un mûrier, le produit serait mauvais.
une telle charte, si elle était établie par un groupe de penseurs et de philosophes, chaque nation devrait la soumettre à ses philosophes et juristes. si ceux-ci lapprouvaient, en ce moment-là seulement tous les citoyens de cette nation devraient la considérer comme une vérité qui se situerait au-dessus de la loi, et le pouvoir législatif aurait l'obligation de ne ratifier aucune loi qui s'opposerait à elle.
mais les autres nations ne sont pas tenues de s'y conformer tant qu'il ne sera pas établi pour elles que les lois contenues dans cette charte existent dans la nature effectivement. en outre, cette question n'est pas un problème expérimental qui nécessite un laboratoire, des expérimentations, et des appareils de contrôle et de vérification pour que seule l'europe, qui possède de tels équipements et techniques, puisse s'en occuper. il ne sagit pas ici d'une explosion nucléaire dont la charge est limitée à un nombre restreint d'individus. la question est une question de philosophie et de logique, dont les outils sont l'esprit et la faculté de raisonnement.
même si certaines nations sont contraintes de suivre dautres nations en matière de logique et de philosophie, nous, musulmans, ne devons pas les imiter. nous avons montré dans le passé que nous sommes hautement qualifiés pour traiter des questions logiques et philosophiques. pourquoi devrions-nous donc suivre les autres aujourd'hui.
chose étonnante, nous sommes réduits de nos jours à penser que le principe des droits innés des êtres humains nécessite la ratification du parlement pour que nous lacceptions, alors que les uléma musulmans, lorsqu'on leur présentait le principe de la justice et des droits humains innés, lacceptaient sans hésitation, ni pourquoi ni comment, parce qu'ils le considéraient comme étant une loi religieuse et que, pour eux, la religion est conforme à la raison, c'est-à-dire parce que la justice et les droits innés de l'homme ne nécessitent pas lapprobation explicite de la loi religieuse.
il est encore plus ridicule d'essayer de traiter la question des droits de l'homme en organisant un sondage d'opinion chez les jeunes filles et les jeunes gens, en leur distribuant un questionnaire qu'ils devraient remplir et nous retourner afin que nous puissions étudier leurs réponses et connaître ainsi les droits de l'homme, et décider si ces droits sont d'une sorte ou de deux sortes.
en tout cas, nous voulons étudier la question des droits de la femme d'une façon méthodique et philosophique et à la lumière des droits humains innés. nous aimerions voir ainsi si les principes qui ont voulu que le créateur dote l'homme en général des droits naturels, exigent que la femme et l'homme soient dans un état unique et identique devant ces droits. nous prions les intellectuels, les penseurs et les juristes de notre pays, qui constituent la seule autorité compétente, d'exprimer leur opinion sur ces questions et d'examiner nos arguments avec un esprit critique. nous leur serons reconnaissants s'ils approuvent ou rejettent ces arguments, à lappui de leurs propres arguments.
mais pour traiter de ce sujet, nous devons étudier tout dabord les fondements des droits de l'homme en général, et ensuite les droits de l'homme et de la femme en particulier. mais avant daborder le vif du sujet, il convient de passer rapidement en revue les mouvements de libération de la femme qui ont vu le jour au cours des derniers siècles, et qui ont débouché sur la théorie de l'égalité des droits pour l'homme et la femme.
depuis le xviie siècle, on a commencé à entendre des murmures à propos des droits de l'homme en europe. puis, des écrivains et des penseurs -aux xviie et xviiie siècles- ont essayé de diffuser d'une manière soutenue et étonnante leurs idées sur les droits humains naturels, innés et inaliénables. parmi eux figuraient jean-jacques rousseau, voltaire et montesquieu. le premier résultat tangible de leur action s'est traduit par une polémique qui s'est engagée entre le gouvernement et le peuple en angleterre. et, dès 1688, le peuple anglais a obtenu certains droits sociaux et politiques figurant dans une charte appelée : «the bill of rights».
lautre résultat notable de la diffusion des idées de ces écrivains et penseurs, fut la guerre d'indépendance américaine contre langleterre. une conférence eut lieu à philadelphie, dans laquelle la déclaration d'indépendance fut préparée et approuvée. dans l'introduction de cette déclaration, il était dit : «nous tenons comme vérités évidentes le fait que : "tous les hommes ont été créés égaux, qu'ils ont été dotés, par le créateur, de certains droits inaliénables, tels que le droit à la vie, le droit à la liberté et au bonheur" ; le but de la formation de tout gouvernement est de faire respecter ces droits ; le pouvoir de tout gouvernement dérive du consentement du peuple ; chaque fois qu'un gouvernement porte atteinte à ces droits, le peuple a le droit de le changer et dabolir sa légitimité pour le remplacer par un nouveau gouvernement fondé sur des principes et un pouvoir susceptibles de mieux garantir la sécurité et le bonheur du peuple.»
en ce qui concerne la charte connue sous lappellation de "la déclaration des droits de l'homme", elle fut élaborée après la révolution française. il sagit d'une série de principes universels, qui sont considérés comme faisant partie intégrante de la constitution française. la déclaration consiste en 17 articles. le premier article dit que tous les hommes sont nés libres et le demeurent leur vie durant, et qu'ils sont égaux en droits.
au xixe siècle, de nouveaux développements eurent lieu, et de nouvelles idées émergèrent en matière de droits de l'homme, dans les domaines économique, social et politique, ce qui conduisit à lapparition du socialisme, à la participation des travailleurs aux bénéfices de l'entreprise, et le transfert du gouvernement des mains des capitalistes à la classe laborieuse.
jusquau début du xxe siècle, toutes les discussions sur les droits de l'homme furent concentrées sur les droits du peuple par rapport au gouvernement, ou les droits des classes laborieuses par rapport au patronat.
au xxe siècle est apparue, pour la première fois, la question des droits de la femme par rapport aux droits de l'homme, et c'est seulement au cours de ce siècle que langleterre a reconnu l'égalité des droits entre l'homme et la femme, bien que ce pays soit considéré comme le plus ancien etat démocratique. quant aux etats-unis, qui ont reconnu les droits de l'homme lors de la proclamation de leur indépendance au xviiie siècle, ils ont ratifié la loi établissant l'égalité de l'homme et de la femme en matière des droits politiques, en 1920. et c'est au cours de ce siècle que la france a fait de même.
en tout état de cause, c'est au xxe siècle que beaucoup de groupes se formèrent un peu partout dans le monde, appelant à opérer une profonde transformation dans les rapports homme/femme concernant les droits et les devoirs. les tenants de la nécessité de cette transformation soutenaient que tous les changements intervenus jusqualors dans les rapports peuples/gouvernements et travailleurs/patronat, ne sauraient assurer la justice sociale tant qu'ils ne tiendront pas compte des rapports de droits entre l'homme et la femme.
c'est pourquoi on a écrit, dans le préambule de la déclaration des droits de l'homme, élaborée par les nations unies en 1948 : «vu que les peuples des nations unies ont reconnu les droits de l'homme, la dignité de l'être humain, et l'égalité des droits entre l'homme et la femme...»
la crise provoquée par le développement des machines aux xixe et xxe siècles, et ses conséquences pénibles sur la condition pitoyable des travailleurs, et en particulier des travailleuses, ont focalisé lattention sur l'état de la femme, et c'est pour cette raison qu'on a pensé à la question de ses droits. selon un historien : «tant que les gouvernements ne prêtaient pas attention à la condition des travailleurs et à lattitude des employeurs, les capitalistes faisaient ce qui leur plaisait, n'hésitant pas à employer des femmes et des enfants mineurs avec des salaires dérisoires. et étant donné qu'ils travaillaient trop d'heures, beaucoup d'entre eux tombaient malades et mouraient jeunes.»
c'était là un bref historique du mouvement des droits de l'homme en europe. et, comme nous le savons, toutes les clauses de la déclaration des droits de l'homme, que les européens n'ont découvertes que dernièrement, avaient été élaborées par l'islam il y a quatorze siècles, et certains intellectuels arabes et iraniens ont fait des études comparées entre les enseignements islamiques et les articles de ladite déclaration. certes il y a encore quelque différence entre certaines parties de cette déclaration et ce que l'islam enseigne à ce propos. mais c'est justement cette différence qui devrait susciter l'intérêt de ceux qui se penchent sur ce sujet. l'islam, par exemple, accepte l'égalité entre les droits de l'homme et de la femme, mais il naccepte pas l'uniformité et la similarité de leurs droits.
«vu que la reconnaissance de la dignité innée et de l'égalité et de l'inaliénabilité des droits de tous les êtres humains est le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde»
«vu que la non-reconnaissance et le mépris des droits de l'homme conduisent à des actes sauvages consécutifs à la pression psychologique des individus, l'émergence d'un monde où tous les individus jouissent de la liberté dafficher leurs croyances et où les gens sont libérés de la peur et de la pauvreté, constitue l'idéal suprême de l'humanité»
«vu que la protection des droits de l'homme doit être assurée par la loi, afin que les gens ne soient acculés à la révolte comme dernier recours contre l'injustice et la tyrannie»
«vu qu'il est fondamental de promouvoir le développement de relations amicales entre les nations»
«vu que les peuples des nations unies ont réaffirmé, dans la charte, leur foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, et dans l'égalité des droits de l'homme et de la femme, et qu'ils se sont montrés déterminés à promouvoir le progrès social et un meilleur niveau de vie dans un climat plus libre»
«pour tout ce qui précède... lassemblée générale proclame cette déclaration universelle des droits de l'homme comme la devise commune de tous les peuples et nations, afin que tous les membres et organes de la société, en ayant constamment présente à l'esprit, cette déclaration, s'efforcent, par l'éducation et l'enseignement, de promouvoir le respect le développement de ces droits et libertés, et prennent des mesures progressives, nationales et internationales, en vue dassurer leur reconnaissance et leur observance universelle et effective, aussi bien par les peuples des etats membres eux-mêmes que par les peuples des territoires vivant sous leur juridiction...»
ces formules dorées et mielleuses constituent donc le préambule de la charte universelle des droits de l'homme, préambule présenté comme étant "la plus grande réalisation à laquelle soit parvenue l'humanité jusqu'à présent, sur la voie du soutien aux droits de l'homme".
chaque mot et chaque phrase ont été soigneusement pesés, dans cette déclaration qui est comme nous lavons dit, le fruit des idées des philosophes de la liberté et des juristes de plusieurs siècles.
la déclaration consiste en 30 articles, dont certains paraissent superflus, et il y a certains points qui reviennent dans plusieurs articles.
mais il y a surtout certaines remarques importantes concernant le préambule de la déclaration, qui méritent d'être faites ci-après. en effet, il est dit dans ce préambule :
1 - tous les individus jouissent d'un même niveau de dignité, de respect et de droits innés inaliénables.
2 - la dignité, le respect et les droits innés de l'homme sont communs à tous les individus du genre humain, sans distinction de race, de couleur et de sexe. tous les êtres humains sont membres d'une famille, et par conséquent personne n'est supérieur à un autre.
3 - le fondement de la liberté, de la paix et de la justice est que tous les individus croient dans leur for intérieur, à la dignité humaine et au respect de tout le monde.
le contenu de cette déclaration laisse entendre que la source de tous les problèmes, les guerres, les actes d'injustice et de barbarie qui prévalent dans la société, est la non-reconnaissance de la dignité et des droits humains. cette non-reconnaissance conduit certains individus à se révolter contre certains autres, ce qui met en danger la paix et la sécurité.
4 - la plus sublime aspiration, pour la matérialisation de laquelle tout le monde doit lutter, est l'émergence d'un monde dans lequel la liberté de croyance, la sécurité et le bien-être matériel doivent être assurés, et où disparaîtraient la peur, la pauvreté et la terreur. les 30 articles de la déclaration ont été élaborés en vue de réaliser cet idéal suprême.
5 - la croyance à la dignité humaine et au respect des droits inaliénables de l'homme doit être inculquée graduellement dans tous les esprits, par l'enseignement et l'éducation.
etant donné que la déclaration des droits de l'homme a été élaborée sur la base du respect de l'humanité, de la liberté et de l'égalité, et en vue de faire revivre les droits de l'homme, elle commande le respect de toute personne consciente. nous, les peuples orientaux, croyons à la dignité humaine et au respect de l'humanité depuis longtemps. en effet, l'islam attache une grande importance à la dignité humaine, au respect des droits humains de liberté et d'égalité. ceux qui ont élaboré cette déclaration, et les philosophes qui lavaient réellement inspirée, méritent notre haute estime. toutefois, il sagit pour nous d'un texte philo- sophique écrit par des mains humaines et non par des anges. par conséquent, tout philosophe a le droit dana- lyser cette déclaration et de souligner ses points faibles. cependant nous ne voulons pas maintenant mettre en évidence ces points faibles, mais plutôt ses points forts.
la déclaration, sappuyant sur la position naturelle de l'homme, son honneur et sa dignité, estime que celui-ci possède une série de droits et de libertés dérivant de sa possession d'une sorte de dignité et d'honneur qui manquent chez les autres êtres, lesquels manquent par là même desdits droits et libertés. tel est donc le principal point fort de la déclaration.
là encore nous sommes devant une vieille question philosophique : quelle est la nature de la dignité humaine qui distingue l'homme d'un cheval, d'une vache et d'un pigeon ?
c'est là que la contradiction entre la base de la déclaration des droits de l'homme et lappréciation occidentale de l'homme devient évidente.